Décembre 2008...j'ai commencé à écrire La Solitude des Louves en juillet 2001. C'est un parcours initiatique, depuis tout ce temps, ma cervelle est en chantier, mais j'arrive presque à la fin du roman, les dernières lignes droites en somme. 450 pages à ce jour, et il faut bien le dire, des périodes blanches assez longues durant lesquelles j'ai tricoté des idées, durant lesquelles j'ai continué à me construire, l'écriture est une thérapie. C'est un travail de longue haleine car il me demande à la fois de nombreuses recherches documentaires et un état d'esprit propice à la créativité. J'écris sans savoir où je vais, comme lorsque l'on rêve, je laisse l'imaginaire me guider. Parfois, ce sont des photos qui m'inspirent, parfois des événements de la vie. Souvent, ces événements sont des moments de magie que m'apporte la nature, des flashes, dans la forêt... J'ai le projet de réaliser quelques illustrations...Un dur labeur, mais quelques idées ont germé!!
Lundi 7 Mai, la lumière du matin m'extirpe du sommeil; j'ai fait un rêve désagréable: j'entre dans une librairie et je demande où est le rayon "arts et culture" . Quelqu'un me répond: "mais cela n'existe plus". Oh pourvu que ce ne soit pas prémonitoire! Pas plus que mon roman!
EXTRAIT DU DERNIER ROMAN EN COURS: "La Solitude des louves" - les croix séparent deux chapitres, les séries d'étoiles délimitent les extraits...
Bonsoir. Suite du démantèlement de la secte « Lupus T ».
Après la saisie effectuée dans les bureaux du groupe «Mary Saint» où de nombreuses preuves ont été découvertes, la police est parvenue à arrêter Janus Nebula, le leader du groupe. Fuyant vers l’étranger, il a été rattrapé à bord d’un bateau croisant au loin de nos îles. Selon les premières informations, il semblerait que le réseau soit plus important que l’agence de renseignements l’ait supposé. Nous vous invitons à rester vigilants, en effet, les ramifications de ce mouvement sont nombreuses. Dans votre entourage, chez vos voisins, au travail, peut-être côtoyez-vous des personnes en relation ou faisant partie de Lupus T. Vous pouvez appeler le numéro qui défile actuellement sur vos écrans, nous vous remercions pour vos actes de civisme. La suite du bulletin d’information.
3 Janvier…. Si près de parvenir à destination, je n’ose pas imaginer ce qu’il va lui arriver. Il ne faut pas se cacher les yeux, la torture et la mort lente sont toujours au rendez-vous. Des preuves accablantes ! Oui, sans doute, le moindre objet constitue une preuve aujourd’hui.
Ami lointain, frère, je prie pour toi à l’issue funeste de ton huitième voyage.
Look at the sky when it’s full of lights, Look at the sea when it’s dark inside…
óóóó
Oui, c’est ce jour là que j’ai déménagé pour me cacher dans le grenier.
C’est ce jour là, que j’ai réalisé qu’il serait impossible de lutter à découvert, qu’il n’existait plus aucun endroit qui puisse abriter la détresse, et que la prophétie annoncée par le vieux Mac M. se révélait sous son plus sinistre aspect. Je me tenais recroquevillée dans un coin sombre de la pièce, entre la terreur et la fureur, épuisée et sans sommeil. La pluie cliquetait sur le zinc du toit.
Je regardais mon univers poétique amassé dans un désordre chaotique.
Le portrait de la reine bleue était éclairé par un rayon de lune, son cœur irradiait de lumière, son armure étincelait, son glaive rougeoyait, son regard me fixait intensément. Je tournais la tête vers la fenêtre pour observer cette lune réconfortante.
Mais dans cette pièce, il n’y avait pas de fenêtre.
X
Les chandelles bleues brûlent lentement, les coulures de paraffine accumulées forment des reliefs tortueux et lisses sur le vieil autel de bois sombre. Un léger courant d’air fait vaciller les flammes doucement. Je ne dors pas, je veille, sur les icônes et les reliques du sanctuaire.
D’épais flocons de neige volettent au dehors, des frissons courent sur ma peau et me rappellent la Nuit
Quelques années avant la tourmente, les clans de l’Ordre s’étaient rassemblés. J’étais partie un matin de décembre pour rejoindre les confréries.
Nous étions arrivés au domaine en fin d’après-midi, après avoir interminablement marché le long des chemins de campagne enneigés. L’hiver naissant s’installait avec rudesse, déjà la route qui conduisait à notre lieu de rencontre était encombrée de troncs d’arbres morts écroulés sous le poids du givre. La nature protégeait notre retraite des visiteurs inopportuns. Nous traversions les champs, les fourrés, coupant à travers bois sous les ormes et les vieux chênes pour regagner le château de P.
Après avoir franchi les sept portes et longé les douves gelées, nous arrivions, transis de froid. Dans la cour intérieure illuminée par les torches fixées sur les remparts, les jeunes Lupus nous souhaitèrent la bienvenue. Après notre arrivée, des amis de la Grande Ile
Les tables disposées dans les allées de l’ancienne chapelle accueillaient au Nord les anciens, au Sud, les sages, à l’Ouest, les Lupus, et à l’Est les novices.
L.Mc M., le plus ancien des membres, nous fit l’honneur du discours, puis présenta les novices et les Lupus avant que nous n’entamions le chant de l’Ordre Sacré, puis, chacun trempa ses lèvres dans la coupe de l’Orfèvre.
Je retrouvais à ma table, avec beaucoup d’émotion, ceux parmi les Sages qui partagèrent avec moi, il y a bien longtemps, le cérémonial de la fin du noviciat. Nous allions par cette nuit de solstice livrer à nos élèves novices la clef initiatique et inaliénable du passage dans l’Ordre des Lupus.
Lorsque le repas fut terminé, nous nous rendîmes dans la salle du cloître, située sous la cour intérieure. Cette pièce à l’étrange architecture avait été construite pour abriter les réunions des Chevaliers de l’Ordre au douzième siècle. Modifiée au cours de l’Histoire, la salle en forme de dôme offrait une voûte splendide, haute de plus de cinq mètres, où était suspendu un lustre géant portant trois couronnes de fer forgé, parées de centaines de bougies flottant dans des coupelles de verre grenat.
Les Anciens siégeaient sur un balcon circulaire de bois sculpté, fixé à d’énormes poutres, qui semblait suspendu dans les airs. Les mosaïques du sol formaient des entrelacs bicolores. L’autel se dressait au centre de la pièce, encerclé par un banc de pierre monobloc orné de figurines et de gargouilles. L’eau ruisselait le long des murs recouverts par la mousse, il y régnait un froid glacial et humide. L. Mc M entonna un chant, sa voix claire s’éleva vers le sommet du dôme, les membres de l’assistance écoutaient avec calme et dignité ce message de bienvenue, cet hymne de reconnaissance venu du fond des âges. Cette cérémonie d’intronisation se répétait siècle après siècle selon les mêmes rites.
Les Chevaliers admis au cercle lors de la cérémonie où ils confirment leur volonté d’appartenance à l’Ordre. Chacun devient détenteur d’un savoir ancestral gardé et tenu secret. Les Anciens enseignent aux Sages et découvrent les novices ; les Sages enseignent aux novices qui deviendront Lupus et qui guideront à leur tour d’autres novices. Cet enseignement est constitué de fragments du savoir, les Chevaliers accèdent à la connaissance tout au long de leur engagement, ce n’est que lorsqu’un Sage est admis au sein des Anciens que la totalité du savoir lui est révélée.
Les rites initiatiques revêtent un caractère symbolique, et offrent aux impétrants l’occasion de prouver leur détermination en affrontant les épreuves.
Le cercle est en mouvance, à la manière des entrelacs gravés sur nos armes ; et les membres de l’assistance s’apprêtaient participer à ce cycle de renaissance, par cette nuit, la plus longue de l’année.
Sur l’autel, les braises rougeoient dans l’urne, et L. Mc M revêtu de sa longue robe d’apparat accueille les novices qui recevront la première marque de reconnaissance, après qu’ils aient prononcé leurs vœux, le fer laissera sur leur peau la forme d’un V. Puis, les nouveaux Lupus confirment leur engagement, l’Ancien applique le fer sur la marque de leur premier baptême, complétant ainsi le dessin du blason, ajoutant un V inversé et rejoignant la première brûlure. L’Ancien appelle à lui les Lupus admis parmi les Sages qui reçoivent à cette occasion les armes et le blason que les anciens leur ont destiné. Puis, L. Mc L. leur révèle le nom par lequel le Conseil a choisi de les reconnaître avant d’apposer la troisième distinction, ces traits superposés forment alors une étoile inscrite dans la chair de celui qui a su se révéler être un guide honorable. Trois Sages sont introduits au sein des anciens, Malachie de Dubn, Rowan. de Galw, et moi-même. L. Mc L. dépose les sceaux dans l’urne et présente à chacun des Chevaliers une coupe emplie d’un breuvage préparé par les Anciens, les voix de toute l’assemblée s’élèvent, et l’hymne retentit avec profondeur dans le cloître. Lorsque le silence emplit de nouveau l’espace, nous nous avançons vers l’autel. L’Ancien me remet la pince, je sors l’empreinte des braises et applique cette quatrième marque, le dernier ornement. Ce dernier sceau achève le signe de l’Ordre, il est composé d’un motif encerclant l’étoile du sage, de cinq pointes et de l’initiale du Chevalier. La douleur de la brûlure mêlée à celle des pointes qui pénètre la chair est si forte qu’elle me laisse un goût de métal dans la bouche.
Nous rejoignons le balcon où nos pairs nous accueillent, pour entendre L. Mc M.
- « Il nous est donné de percevoir les voix des disparus, j’ai reçu leur écho en songe. Notre culture et notre Ordre sont en grand danger, vous devrez affronter des douleurs plus vives que celle de ma bénédiction. Cachés et œuvrant dans la nuit, plus près des ossements que des étoiles, vous avancerez avec prudence. Un grand nombre d’entre nous périra, et je crains que notre prochaine assemblée ne soit bien lointaine. Dissimulez, ne confiez pas une once de vos connaissances, apprenez à vous reconnaître sans jamais vous trahir. Plus grand encore sera le danger pour les femmes de la chevalerie, car voici venir des temps sombres. Il temps dès à présent de vous entraîner au combat, car il s’agit bien pour nos ennemis de nous exterminer, de nous arracher notre culture, de la détruire, de la bannir, nous qui n’avons jamais cédé à quelque pouvoir, à quelque autorité que ce soit, nous qui avons su conserver notre héritage au sein de nos clans, prenons garde qu’un vent violent ne souffle sur son passage des siècles de « résistance ». Amis, frères et sœurs de l’Ordre, voici venu le moment de notre huitième voyage. Séparez-vous, soyez vifs, ne restez pas groupés, mais gardez vos liens invisibles, retournez à vos « vies au grand jour » sans être démasqués, prenez grand soin de ne jamais vous séparer de l’hostie de l’Ordre. Il va venir le temps des années sombres et de la fureur ».
Une tristesse infinie se lisait sur le visage de Lord. Mc M. Après qu’il eût terminé son discours, et après bien des embrassades, chacun est reparti, nous regagnions nos demeures par les bois, le vent sifflant entre les arbres décharnés.
Chaque fois que la neige dépose son linceul embrené, je me souviens de cette étrange nuit.
Les bougies persistent à diffuser leurs reflets ocre sur le mur et j’entends le silence feutré du dehors, tout semble si calme, je pourrais croire la paix revenue, mais je veille. Le froid engourdit mes membres, du plus loin dont je me souvienne, ma chair a toujours été glaciale, à présent que je suis vieille, il me serait facile de simuler la mort, respirer lentement, jusqu’à ce que le pouls devienne imperceptible, un souffle ténu s’échappant d’un corps si froid qu’aucune buée n’apparaît. Je suis un peu usée, mais ma vigueur physique est plus forte que celle d’Avant, je suis un peu fanée comme une vieille rose du Devon, mais mes épines ont toujours la dureté de l’acier trempé. Je veille dans un demi-sommeil, mais mon esprit est vif. Il me faut élaborer un plan stratégique pour sortir de la ville et rallier les factions des provinces.
Une sensation étrange, comme si j’étais devenue le froid moi-même, comme si je devenais invisible, habillée de givre, je sens mon corps flotter au-delà de moi-même dans un calme apaisant, je sens un souffle tiède sur mon visage, j’entends le froissement d’une étoffe, un murmure, un chuchotement : « Epoha, Epoha ! ».
Une poussière de lune scintillante s’élève du sol, un vent léger souffle dans la pièce, un vent vivant qui m’appelle et dépose les particules miroitantes qui ondulent et dansent sur le sol en formant des runes, car les Anciens perçoivent les voix des disparus de la confrérie de l’union des clans.
Les dessins sur le sol s’effacent et se recréent au gré du souffle qui les trace.
« Faire la route dans le brouillard et rencontrer le guide Porter le manteau vert. Blessure et médecine. Perdu dans la forêt. Distinguer ce qui est juste. Rejoindre l’Ovate, se réunir sous l’arbre de Lemos, et Vaincre. »
óóóó
Dès que le soleil eut totalement disparu, nous avons attelé les chevaux, et après avoir soigneusement effacé toute trace visible de notre présence, nous avons quitté le repaire. Les bois furent vite traversés, et nous atteignîmes la route qui longeait un ancien camp militaire, aucun abri en vue, des champs plats et sinistres, une bien trop longue distance à parcourir à découvert. Nous avons rebroussé chemin, pour suivre un cours d’eau sinueux qui se perdait au fond d’un vallon. Le Ledd, le cours des tanneurs, serpentait limpide de pré en pré. Les cartes indiquaient des espaces boisés plus au nord, il nous fallait pour rejoindre le Dalk, traverser des villages. Le pas des chevaux écrasait les premières herbes timides, les parfums exhalés du sol accompagnaient notre fuite sous une pluie légère. Nous goûtions la nature avec sérénité.
A quelque distance, une masse sombre se dressait devant nous. Nous fîmes halte, et descendues des chevaux, nous avancions lentement, maintenant les brides des bêtes et nos harnachements, sans bruit, nous approchions d’un village.
Aucune route ne contournait les maisons. Les chaussons de crin enfilés aux pieds des chevaux, les larges capuchons jetés sur nos têtes, les épées ceinturées, nous sommes remontées en selle.
A mi-chemin, il me sembla voir une lueur aux fenêtres d’une masure, mais à peine l’avions nous dépassé, elle devint invisible. Nous avons traversé le village dans un galop silencieux, les bords de nos capuchons flottant au vent, la buée des naseaux des chevaux formant une aura éphémère, nous filions grand train vers le nord. Au sortir du bourg, une route paraissait mener vers des espaces boisés. Après avoir libéré les pieds de nos montures, nous nous sommes élancées au galop et avons rapidement gagné l’orée d’un bois.
Un chemin forestier nous parût de bon augure, il longeait la grande route, nous chevauchions moins rapidement afin de ménager nos bêtes. Derrière nous, au loin sur la route, un bruit de moteur hoquetant se fit entendre. Nous avons mené nos chevaux en contrebas, jusqu’au cours d’eau, puis, reprenant le galop, nous allions à vive allure sous les gerbes d’eau glacée qui formaient des arcs de perles cristallines. Nous entendions le moteur se rapprocher, puis, à mesure que nous avancions, un bruit d’eau battue, la force d’une cascade puissante allait crescendo.
A quelques pas de nous, derrière un massif d’arbre, nous découvrîmes un vieux moulin dont les larges roues frappaient l’eau en cadence. La porte, forcée, nous offrit un gîte. Th sortit de son bagage quelques brassées d’herbes afin de calmer les chevaux. Au dehors, abritées derrière les murailles, nous guettions la présence d’intrus. Le moulin couvrait le bruit de la route. Soudain, W aperçut deux silhouettes qui se faufilaient le long du sentier, à la recherche de traces sur le sol. Pas de sifflement ni de cri de loup, aucun signe de ralliement ami ; les deux formes trapues se dirigeaient vers le corps du moulin.
Nous nous sommes regroupées derrière le muret, cachées sous les branches de lierres. Th s’est avancée à découvert, le cuivre de ses cheveux luisant sous les rayons de lune. Les deux poursuivants se sont relevés, et se sont approchés. Ils marchaient sur le pont, Th contournait la roue, passant devant nous, puis elle enjamba le parapet sans regarder les deux hommes qui d’un pas décidé la suivaient.
J’indiquais par des signes à ma novice et à Lupus D. le déroulement de notre attaque. Les deux poursuivants se trouvaient devant nous, penchés sur la balustrade pour attraper Th, ils s’adressaient à elle dans un langage que nous ne comprenions pas. Th saisit ses cheveux, les remonta au dessus de sa tête, et, au moment où sa crinière fauve retombait sous les yeux subjugués de nos ennemis, nous étions debout, aussi silencieuses que la brume, dagues levées. En une seconde, les lames s’abattirent sur les nuques grasses des prédateurs. Une violente poussée, et leurs corps furent projetés entre les pales des roues du moulin. Leurs longues chemises claires flottaient entre les lames de bois, l’eau s’opacifiait rapidement, la roue émettait de sinistres craquements.
Th nous rejoignît, puis, après nous être chaleureusement réconfortées, nous avons repris les chevaux et longé le chemin de hallage au galop. Nous ne disposions ni du temps ni des moyens nécessaires pour masquer les traces de notre méfait, nous ne savions pas combien de guetteurs se terraient dans la masure.
Nous savions que notre route était surveillée, que notre passage était découvert, et qu’il nous fallait quitter aussi vite que possible la vallée du Ledd. En filant droit vers l’ouest deux heures durant, les chevaux au galop, nous avons traversé en enfilade des champs, des villages, des bois, des plaines, jusqu’à ce que nous trouvions enfin sur notre route la vallée de la Foyle.
óóóó
Arrivés aux abords de la cabane, nous avions recouvré notre calme et avancions à pas feutrés. Le frère Lune semblait inquiet de me voir approcher avec tant de précautions. Le passeur était un vieil homme ami de l’Ordre, mais par ces temps obscurs, il se pouvait que l’ennemi se soit emparé de son gîte. J’examinai les roches et les arbres, guettant quelque trace de bataille malgré l’obscurité, quand un hurlement se fit entendre. Le frère Lune terrifié, restait malgré mes signes, figé comme la pierre. Je m’élançais vers l’animal. Moloï venait à ma rencontre, frétillant et me faisant fête, sous les yeux étonnés de mon compagnon déconcerté.
La porte de la cabane s’ouvrit, et Mogh le vieux apparût sur le seuil, brandissant une torche et nous invitant à le suivre.
Après de vigoureuses embrassades, je présentais mon compagnon à Mogh. L’intérieur de la cabane était confortable, de solides rondins de bois nourrissaient un feu crépitant et notre hôte nous servit une soupe fumante accompagnée de pain et d’une bolée de cidre. Je lui tendis les champignons, Mogh se dirigea dans sa cuisine et revint peu de temps après avec une omelette telle que je n’en avais vue depuis des siècles et que nous partageâmes avec un appétit d’ogre.
Les vêtements du frère Lune étaient trempés et maculés de boue verdâtre, aussi, le vieux Mogh entreprit-il de l’aider à se débarrasser de ses habits.
- « L’eau des marais est dangereuse, contaminée, pestilentielle, tu sais depuis que les maudits ont ravagé le pays. J’ai du lutter âprement pour conserver le passage. Des temps obscurs vraiment. »
- « As-tu bataillé par ici ? Je n’ai vu aucun désordre dans les pierres ni sur les arbres… »
- « Ils ne sont jamais arrivés jusqu’à la cabane, ils n’aiment pas bien les marais tu sais, mais ils ont essayé tout de même. Je n’ai pas perdu l’oreille, et je sais entendre les corneilles qui jacassent, j’en ai laissé plus d’un pourrir dans les lochs, ils ne sont pas bien malins va ! »
- « Ils ne connaissent donc pas la région ? »
- « Non, ils n’aiment ni le bois ni les terres gorgées d’eau, ils sont venus par petits groupes et je n’ai pas eu grand peine à m’en défaire. Bien sur il m’a fallu ruser un peu, j’ai tendu mes vieux filets de pêche et les feuilles les ont recouverts, ils marchaient en confiance et se sont enlisés par dizaines ici, j’ai bien du en pourfendre quelques uns, ma dague ne craint pas l’eau ! »
- « C’est une habile façon mon frère ! Et discrète ! »
- « Je crains seulement que leurs vilaines âmes ne viennent empoisonner ma lande, il en faudra des Samaïn avant qu’ils n’aient disparu pour de bon ».
- « N’aies crainte, les Très Anciens les chasseront. »
- « Je l’espère. Allez mon garçon, ne reste donc pas avec le sang de ces maudits imprégner ton linge, suis-moi ! » Le passeur saisit une grosse pince de fer pour attraper le chaudron fumant dans l’âtre suspendu à la crémaillère et entraîna le frère Lune dans la remise afin qu’il se nettoie.
Installée confortablement devant la cheminée, je profitais du tabac de Mogh. Je repensais à mes rêves de la journée qui me plongeaient dans une sombre méditation, lorsque j’entendis le frère Lune pousser des cris. Il courrait dans la cabane, vêtu d’un simple pagne de toile tentant d’échapper aux coups que Mogh lui assénait sur les abatis en le poursuivant. Mon compagnon ne connaissait pas les bienfaits de la friction des branches de bouleau, et le vieux Mogh riait à gorge déployée en criant :
-« Reviens donc espèce d’animal, ça fait circuler le sang ! »
Le frère Lune tout abasourdi finit par se calmer, puis revêtit les vêtements que Mogh lui présenta. Le jeune homme avait à présent une toute autre allure, il portait le pantalon de peau et les hautes bottes de cuir aux embouts ferrés, une tunique de laine, et une cape brune de toile enduite, semblable à la mienne.
Tout en fumant le tabac au goût de miel et en buvant le chouchen, je fis part à mon vieil ami de mon rêve.
- “Je pense que les très anciens m’avertissent d’un danger imminent qui mettrait notre expédition en péril, ta compagnie m’est chère, mais nous devons nous hâter mon ami. »
- “Mais ton premier songe n’est pas anodin Epoha, les Très Anciens ne peuvent pas se tromper. Tu dois rejoindre ta faction au plus vite, c’est certain, mais sois confiante, vous parviendrez à temps, et Moloï vous sera utile.” - “Mon cher Mogh, crois-tu que le Barzh sera des nôtres prochainement ?”
- “A n’en pas douter Epoha, je l’ai vu en songe moi aussi. Les épreuves vous attendent, mais j’ai grand espoir. Laisse-moi vous donner à tous deux un talisman. Vois-tu, mon vieux compagnon Arthus est mort, il y a bien longtemps de cela, mais sa force est éternelle, aussi, j’aimerais que vous portiez cela, ainsi son énergie sera la votre. »
Mogh passa cérémonieusement autour de notre cou une chaîne à laquelle était accrochée une des griffes d’Arthus sertie à la base dans une couronne d’argent ciselée d’entrelacs. Ouvrage du Grand Orfèvre à n’en pas douter. Les yeux de Mogh brillaient de larmes refoulées, je le pris dans mes bras et tapai ses épaules en signe de reconnaissance.
Le frère Lune lui présenta sa main que Mogh empoigna vigoureusement, puis il admira les ongles incrustés de mon compagnon avec grand intérêt.
- « Mon jeune ami, le temps nous est compté, mais nous nous reverrons, et je te conterai l’histoire de Dràgo Drabarn qui fut mon ami, il était aussi l’homme qui avait recueilli Arhtus…. Il portait lui aussi les étoiles d’argent, c’était un frère. »
- « Vous auriez connu mon second père ? »
- « Je l’ai connu, il y a bien longtemps de cela, mais nous nous reverrons, et lorsque la folie aura quitté ce monde, nous en reparlerons autour d’un bon feu mon garçon. Il est temps de se mettre en route. Epoha, tu peux avoir confiance en ton ami, il fera un excellent Lupus, foi d’Arthus ! » xxx Au loin, la lune jetait ses rayons sur la pierre blanche du dôme de la basilique, et dans la ville des lumières brillaient çà et là. Il eût été bien imprudent, pour notre compagnie, de s’y aventurer.
Nous nous frayâmes un chemin à travers champs quelques verstes plus au sud, peu à peu, les grandes plaines s’estompaient et la terre nous abritait au creux de petits vallons arborés.
En peu de temps nous avions franchi trois cours d’eau sans rencontrer la moindre patrouille, lorsqu’à l’orée d’un bois d’où nous aperçûmes des lueurs provenant d’un ancien prieuré. Alertés par le bruit de notre cavalcade, des hommes s’étaient précipités sur la route. Rowan qui ouvrait le convoi fit arrêter la troupe.
Un groupe d’hommes et de femmes venaient à notre rencontre, étonnés de trouver à la nuit tombée et en un lieu si isolé, une garnison chevauchant ainsi.
Curieusement vêtus tous semblablement de chasubles marines, ils nous invitèrent à partager une agape. Rowan refusa poliment, mais, durant le court instant pendant lequel nous étions arrêtés, les habitants du gîte s’étaient regroupés autour de nous, et bien que Rowan ait expliqué que nous devions passer notre chemin, les fidèles de cette communauté ne s’écartaient pas de la route, et semblaient au contraire manifester par leur inertie, la volonté de retarder notre départ. Je jetais un regard discret à l’intérieur de la propriété. Le parc était assez vaste, cerclé de haies. Au milieu de la cour, deux imposantes bâtisses pouvaient abriter des légions entières. Des braseros disposés le long des allées illuminaient le domaine, et je vis arriver un grand nombre de pèlerins, parmi lesquels je distinguai des gardes de la milice, se faufilant entre les capelines bleues. Je m’avançais en tête de la marche auprès de Rowan.
-« Il va être bientôt temps pour nous de partager l’hostie si nous demeurons d’avantage. Il nous faut repartir prestement. »
-« Allons mes amis, ne refusez pas notre invitation, ce serait faire offense à vos hôtes. »
-« Bien, nous ne souhaitons pas vous offenser, après tout, nos chevaux ont bien mérité une ration d’avoine, montrez nous le chemin. »
-« Voilà une sage décision, entrez donc en paix en ce lieu de repos »
-« Je vous en remercie au nom de chacun, mais tout d’abord, laissez-moi donner mes ordres afin que nous pénétrions avec calme et respect chez les amis qui nous offrent l’agape. »
-« Compagnons, considérez nos hôtes avec la bienveillance qu’ils méritent, et sachez être dignes, tout comme vous le fûtes envers nos amis du gué franchi ; que la flamme de vos cœurs s’allume.»
Pendant que la compagnie mettait de l’ordre dans ses rangs, les pèlerins bleus rentraient au prieuré, laissant à une poignée d’hommes le soin de refermer les portes après notre passage. Nous avions divisé les rangs des Chevaliers et chacun des Anciens se trouvait à la tête de onze preux. A peine avions nous franchi le portail, les gardes refermèrent les ventaux. Au milieu du vaste parc entouré de haies se dressaient deux bâtiments parallèles l’un semblait abriter le bétail et l’autre les habitants.
Je dirigeai calmement les Chevaliers. La troupe de Rowan s’orientait vers la gauche contournant la grange, Malachie guidait sa colonne derrière la chaumière pendant que j’avançais de front entre les deux logis.
Le cri d’un rapace sorti de la gorge de Malachie donna le signal de départ, et, alors que les résidents s’attendaient à voir les hussards descendre calmement de leurs montures, ils assistèrent pantelants à un défilé sauvage.
Les escadrons galopaient autour des bâtiments, plongeant dans le feu des braseros des pics entourés de chiffons, puis les lançaient de toutes parts. Les flammes se répandirent dans les haies et à l’intérieur des bâtisses. Rapidement, le prieuré se transforma en un brasier immense. Les gens hurlaient et tentaient s’enfuir, des explosions se produisirent dans la grange d’où s’échappèrent un grand nombre de miliciens armés.
Alors que nous luttions dague à la main contre les gardes, dont certains, les vêtements en flammes continuaient de se battre ; une partie de la grange s’effondra, ensevelissant sous les tôles et les débris en feu un groupe de bleu marines, et découvrant ce que recelait la propriété. Des tanks, des camions bâchés, des citernes, des caisses d’armes, rangés côte à côte qui explosaient en s’enflammant. Surpris par notre visite imprévue, les miliciens s’étaient regroupés dans l’abri d’armes, pensant venir à bout de l’escadron rebelle, supposé désarmé, dans le réfectoire de l’autre bâtiment.
Dans le parc régnait une cohue formidable, l’incendie se propageait à une extrême rapidité, les flammes échappées du toit béant grimpaient si haut qu’elles atteignaient les arbres et courraient de branche en branche, formant une couronne incandescente tout autour de la propriété.
Au cri de ralliement, les colonnes firent volte face, et nous guidâmes les Chevaliers vers la porte de sortie, puis, j’invitais Rowan à me suivre, trois des chevaux avaient quitté le domaine sans cavalier.
Deux de nos Lupus gisaient près de la grange en feu, puis, malgré la fumée qui rendait l’air âcre et sombre, j’aperçus deux miliciens qui entraînaient un novice à l’écart. Je parvins à grand peine à me rapprocher du novice, puis, la dague à la main, j’embrochais les deux gardes et, d’un geste preste, je mis fin aux souffrances du novice avant qu’il n’ait le temps de trahir l’Ordre. Je tranchai le doigt qui portait la bague ainsi que la chaîne de son cou et emportai mon butin.
Rowan parvint à reprendre les talismans des lupus vaincus. Lorsque je quittais le prieuré, son cheval l’avait déjà entraîné au dehors.
Je rejoignis la compagnie qui s’enfuyait rapidement sur la route, le cheval hennissait, les crins en feu ; ma cape flottait autour de moi mangée par les flammes.
Malachie se détacha du groupe et arriva à ma rencontre en étouffant le feu à l’aide de sa couverture. Malgré brûlures et les blessures, la faction filait droit vers l’Ouest, la route éclairée par les reflets du brasier qui continuait son œuvre.
A mesure que nous avancions les hurlements se dissipaient, noyés dans le crépitement des flammes, et couverts par le bruit des sabots claquant sur la route.
Le ciel, obscurci par les volutes noires semblait figé comme un immense voile de deuil au-dessus du carnage.
óóóó
Les cordes pincées émettaient des notes cristallines, Th et Fa chantaient les odes de l’Ordre.
Seven Jewels belong to the brave He sails from so far against the waves Seven Jewels bright in his eyes And his dagger made of silver From the stone to our victory Dagger for the One is our forever Under the oak to praise our glory
Il nous semblait un instant vivre du temps de l’Avant, la sensation de fatigue s’estompait, les douleurs de nos plaies s’endormaient, et nous attendions que la lune impose à la mer de nous ouvrir la route, patiemment, baignés par une douce chaleur, bercés par la mélodie mélancolique et la magie des voix.
Les novices apportèrent des pichets de vin, du miel et du tabac, après avoir bu quelques verres, je me laissais entraîner par mes rêveries, plongée dans un doux engourdissement. Je revoyais les arbres aux pendus, la forêt traversée par une multitude de rayons lumineux, les branches des arbres recouvertes de feuillages rouges, les lianes chevelues courant de branche en branche. Marchant sur les pierres d’une allée couverte, un ours gigantesque, au pelage clair tâché de sang se dressait en rugissant, le son rauque de son cri se transformait en un chant puissant. Frappant la pierre de ses pattes énormes, une brèche se forma, d’où s’échappèrent de légers filets de brume qui peu à peu prirent forme humaine et dansaient autour des mégalithes.
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A peine Malachie avait-il terminé de complimenter Goibh, un vacarme provenant du bas de la ville nous fit faire volte face…
Une faction de lupus armés et cuirassés revenant de patrouille regagnait la forteresse, ils avançaient d’un pas vif, et la foule se pressait autour d’eux en criant. Ils approchèrent à la rencontre de Goibh et nous découvrîmes le motif du chahut et des cris qui avaient accompagnés leur arrivée.
Ils avaient capturé des ennemis sur le territoire qu’ils surveillaient et ils traînaient les barbares ligotés derrière leurs chevaux.
-« Voici Fearn le Sage, il dirige les expéditions au-delà de nos terres et agrandit le territoire ! Pourquoi diable n’as-tu pas tué ces sauvages au lieu de fatiguer les chevaux à traîner des poids inutiles ? »
-« Ah ! Maître Goibh, j’ai pensé qu’ils pourraient bien nous confier les plans de leurs armées. »
-« Mais ces damnés chiens ne parlent pas notre langue ! » -« Ah, ceux là parlent comme nous mon cher, ces damnés chiens ne viennent pas de bien loin, ce sont des traîtres nés sur nos terres qui ont pactisé avec les milices, nous les avons surpris et nous avons bigorné les gardes, mais ceux là peuvent nous dire ce qu’ils savent. Hé, Maître Ridwein, viens un peu par ici, je te ramène du fer à battre ! »
Les prisonniers étaient en piteux état, une dizaine d’hommes égratignés et sanguinolents, ils gisaient sur le sol, couverts de boue, ligotés comme des rôtis de pâques, râlant, suant, geignant.
Ridwein ordonna à ses apprentis de s’emparer des bougres et de les suspendre aux esses de la forge. Pendant qu’ils étaient emportés comme des sacs de grains, ils criaient et suppliaient, mais personne ne prêtait attention à leurs doléances. Après qu’ils furent attachés aux crochets, Ridwein les aspergea d’eau fraîche. Clignant des yeux, et toujours suppliant, les prisonniers demandaient grâce.
Goibh s’approcha d’eux et inspecta la prise.
-« La chaleur du four est bien faible, il me semble que tu devrais faire nourrir le feu. Par tous les diables, mais c’est pourtant vrai, ce sont des gens d’ici ! Alors, vous vendez vos frères à l’ennemi mes cochons ! Et bien il va vous en cuire ! Les seuls mots que je veux entendre sont ceux qui révèleront les termes de votre mésalliance et les plans de nos ennemis. Plus vite vous parlerez, moins longtemps vous souffrirez, c’est à vous de voir ! »
-«Laisse-moi œuvrer, je te garantis que ces maudits chiens parleront, mais qu’ils prennent garde, seule la vérité leur évitera les tourments de ma rage ! »
Je m’approchais à mon tour des suppliciés, bien que leurs habits furent déchirés, je reconnaissais les capes bleues, identiques à celles que portaient les habitants du prieuré.
-« Je connais leurs uniformes Goibh, j’ai déjà rencontré certains des leurs, nous les appelons les « Bleus-Marine », ils pactisent avec les milices du nouveau gouvernement, du moins c’est ce qu’ils laissent croire, je ne suis pas certaine qu’ils ne soient pas à l’origine de tous ces massacres. Pour la plupart, ils sont issus de vieilles familles qui formaient le milieu très fermé des dirigeants politiques d’une certaine élite conservatrice. Ils luttent depuis longtemps contre ceux qu’ils considèrent comme des païens. Au nom de leurs croyances et avant tout au nom de leur toute puissance, ils ont banni les vieilles coutumes et massacré nos ancêtres. N’ayez aucune pitié pour cette mauvaise herbe. »
-« Epoha, avant que la guerre n’éclate, nous savions que certains considéraient nos compagnons comme des mécréants, comme ils disaient, et ne voyaient pas d’un bon œil notre présence, même discrète, partout où nous installions nos commanderies, mais tu as raison, ils sont bien plus redoutables qu’ils n’en ont l’air. Je te les laisse Ridwein, tires en ce que tu peux ! »
-« Pourquoi n’utiliseriez vous pas un élixir, à quoi bon vous escrimer à faire parler ces fourbes ? »
-« Non Dame Fa, les élixirs sont réservés aux preux, et ces maudits bâtards méritent bien le châtiment qui leur est destiné. »
-« Ridwein, prête-moi ta lame je te prie. »
-« C’est un honneur Epoha»
-« Bien, il me semble que vos oreilles peuvent m’entendre, j’attends des informations, je veux savoir les noms des traîtres qui habitent les terres de l’Ouest, où peut-on les trouver, comment contactez-vous la milice, l’endroit où est situé leur base, où sont stockés les dépôts d’armes, et quels sont les plans d’attaque dans la région. C’est simple, et je pars du principe que vous connaissez les réponses ; vous avez sans doute déjà vu nos troupes à l’œuvre, comme le savez, nous sommes des païens, pas des enfants de chœur. » Je plongeai la lame du maréchal-ferrant dans les braises de la forge, les captifs près du feu suaient comme des bœufs. Lorsque la lame fût suffisamment rougie, je l’appliquais sur le corps du plus jeune des prisonniers, et recommençai jusqu’à ce que l’un d’eux manifeste l’envie de donner quelques réponses à mes questions.
-« Je t’écoute mon brave. »
-« Nous ne savons rien. »
-« Vous ne savez rien ! Vous pactisez avec l’ennemi, et vous ne savez rien…Ridwein, apporte-nous une mesure de métal fondu, mes amis se perdent en forêt, je pense qu’une semelle de plomb les aidera à marcher droit. »
Les bougres nous regardaient d’un air à la fois étonné et horrifié, pensant que mes paroles n’étaient que des menaces, mais Ridwein apporta la mesure et versa le métal encore liquide et bouillonnant sur les pieds des cinq premiers. Certains d’entre eux perdirent connaissance, les autres hurlaient comme des porcs qu’on égorge.
-« Je crois que nous devrions leur laisser un instant de réflexion, allons donc boire un peu de cet hydromel de ton cru Goibh. Il fait tellement chaud dans cet enfer, je crois que nous avons bien mérité un rafraîchissement. »
-« Voilà une excellente idée Epoha, et je crois que Maître Ridwein l’a bien mérité lui aussi ! »
Goibh quitta la forge en crachant sur les traîtres et nous invita à le suivre. Dans la ruelle en contrebas, il nous fit entrer dans une ancienne auberge au toit de chaume, nous nous installâmes autour d’une table et il nous fit servir le vin pétillant.
-« Vous voyez, ce qui donne un goût si doux à ce vin, c’est le miel, et nous avons ici assez de ruches pour en produire, les abeilles viennent dans les champs de lin, et sur toutes les fleurs qui poussent autour de la ville, il faut dire aussi que nous récoltons du miel de chêne et bruyère, ils sont d’un brun foncé, d’une texture épaisse et ils donnent un goût très particulier au vin. »
-« Goibh ! Quelles que soient les circonstances, tu restes un épicurien, quoi qu’il arrive ! »
-« Oh, quelques soient la circonstance, nous avons aussi le devoir de préserver ce qui est notre richesse, notre patrimoine culturel, et je dois avouer que ces douceurs réconfortent bien ! »
-« Tu as raison, je te taquinais un peu ! Je ne sais pas si les prisonniers parleront, mais quoi qu’il en soit, je pense qu’il sera préférable de les faire disparaître, je reviendrais les questionner, s’ils pouvaient parler…. Nous pourrions régler nos comptes avec les traîtres en liberté. »
-« Je souhaite qu’ils parlent, mais votre missions ne s’arrête pas au Mont, mes armées sont assez habiles et nombreuses pour venir à bout de ces bâtards, nous les débusquerons, ils doivent bien avoir des familles, des enfants, enfin… nous saurons par quelle ruse les attirer dans nos rets. »
-« L’Ordre te fait confiance Goibh, tes Lupus ont fait là une belle prise de guerre, et je crois que nous parviendrons à en tirer quelque chose. » -« Retournons à la forge, j’ai encore du fer à aplatir ! »
Ridwein marchait d’un pas décidé, il avait la carrure d’un Hercule, et un air renfrogné, de longs cheveux roux tressés sur un cou de taureau, je gageai qu’il saurait trouver les arguments pour rompre le silence des Bleu-Marines.
Lorsque nous fûmes de retour à la forge, Ridwein avait déjà saisi les pinces et s’acharnait sur l’un des bandits, en le menaçant de lui fabriquer des chaussures de fonte. Le malheureux ne résista pas d’avantage lorsque Ridwein eut saisit sa main qu’il écrasa sur l’enclume en lâchant la poulie du pressoir.
-« Alors, quelle taille les sabots de plomb ? »
Le client du maréchal avait à peine la force de parler, il murmura entre ses dents :
-« Je sais les noms… »
Ridwein tendit la chaîne et remonta la masse, le délateur livra les noms des familles qui abritaient les miliciens et leur servaient de contact.
Les résultats encourageants incitèrent Ridwein à faire parler les compagnons de l’informateur, mais malgré sa ténacité, il n’en put obtenir d’avantage. -« Je crois que nous pouvons les laisser en paix maintenant, et à vrai dire, je pense que nous pourrions en libérer quelques uns, après leur avoir tranché un doigt, comme la coutume l’exige lorsqu’un homme a trahi, leurs amis se chargeront bien de régler leurs comptes ensemble. »
-« Ah, non, plutôt la mort » balbutia l’un des maudits.
-« C’est un marché que tu nous proposes ? Tu préfères perdre la vie plutôt que ton honneur… où ce qu’il en reste… Soit, donne-nous plus d’informations et tes amis ne sauront pas qui les a vendus ; par exemple où sont les stocks d’armes… »
Alors, dans un dernier effort, il révéla à Ridwein ce qu’il savait. Les milices avaient un réseau d’informateurs, et ils connaissaient les limites des terres de l’Ouest, qui, en certains endroits étaient peu surveillées. Les gardes avaient acheminé des armes et des munitions aux alentours de Falaise, et comptaient bien reprendre du territoire. Ils prévoyaient d’incendier les forêts afin de nettoyer le pays de ses occupants qui ne pourraient plus se ni se cacher ni lutter.
-« Maître Goibh, je te laisse t’occuper du nettoyage de ma forge, il me semble que je doive reprendre la route avec les factions. » Goibh pris au dépourvu se saisit de l’épée de Ridwein et trancha la gorge des prisonniers, puis il ordonna aux Lupus d’évacuer les corps et de nettoyer l’atelier. Nous suivîmes Ridwein qui se dirigeait vers les camps d’entraînement que Goibh n’avait pas encore eu le temps de nous montrer.
Xx Les yeux clos, je récitais à mon tour les prières antiques de l’appel aux Très Anciens.
-« GaLLad GiSa GraPh Orlo BAbAbEL I YOeItE NOgAnEL I O Hiou BAtAIvAH Hel Hel Hel SOnAInT IuS GhAdTA HAdtA IuS OeK-RiLzA da RhOdO MIkolAz AaioM BAglE bAPinOra IdE LUgaM LonUS hI Odum PiLi FUGh EgIbI gAlIAd ».
Le vent se dissipa, des voix dans la nuit résonnèrent avec force, en écho à l’appel. Les nuages semblèrent se regrouper en un tourbillon filant droit vers le Nord, puis une ombre gigantesque masqua la clarté de la lune. Soudain, j’entendis le bruit des pierres entrechoquées en cadence, les chants de mes compagnons, le bruit du vent mêlé aux voix des disparus, le claquement des vagues déferlant sur les rochers et la plainte vengeresse et sauvage des Très Anciens s’échapper de ma gorge.
-«SRAHPM AIRIENNAOP IOA SIGMORF »
La pluie s’abattit, diluvienne, et les gouttes lourdes tintaient sur le granit de la citadelle, elle coulait, fraîche sur nos visages, en un instant, nos capes gorgées d’eau semblèrent peser des tonnes. L’ombre se rapprochait rapidement en un bruissement assourdissant. Lorsque le nuage noir fut proche, nous vîmes malgré l’épaisse averse, l’arrivée des Ailés qui vinrent se poser sur les remparts crénelés de la tour. Six aigles et plus d’une centaine de corbeaux venaient apporter leur aide aux troupes de Goibh. La tension du conseil se relâchait lentement et mes compagnons rompirent le cercle, nous regagnâmes le cloître, Neagh me guida à travers les dédales des allées jusqu’à la salle de lecture.
Rowan m’aida à m’installer dans l’un des fauteuils de métal disposés autour de la grande table, Malachie envoya chercher Th afin qu’elle apporte des tisanes. A son retour, elle me servit un verre de décoction d’herbes, peu à peu, je retrouvai mes esprits.
Ce poison utilisé pour entrer en communication avec les Très Anciens était connu des apothicaires de l’Ordre depuis la nuit des temps, il servait également à la préparation des hosties sacrées. En quantité saturée, ce philtre très puissant provoquait la rupture des tissus veineux.
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Le PennBarzh enferma nos vêtements dans sa houppelande, je l’aidais à marcher jusqu’à la pierre vénérée qui nous accueillit.
-« Ancêtre de Gloire, puisses-tu soulager nos souffrances, et insuffler l’énergie de vie. Que la puissance des Très Anciens de notre Clan soit nôtre à jamais Nous t’invoquons Myrddin avant la bataille Que ton esprit guide nos pas. »
-« Ko-Rakso Kahis Ko-Romp od Blanus Lukai azi-a-Shora pa-eb / Soba Li-Lonon Kahis Virok OP, E-Opïhan OD Rakilira / Ma-asi Bagle Ka-Osigi. »
-« Et qu’il en soit ainsi. »
-« Qu’il en soit ainsi. »
Les branches du houx s’agitèrent, bien qu’aucun souffle de vent ne se soit fait sentir ; la roche bleutée émettait de sourds grésillements, nos corps usés ressentaient la douce chaleur qui s’évaporait de la tombe sacrée et s’infiltrait en nous.
Je pris la main du barde et l’aidais à se relever, puis nous marchâmes jusqu’au bassin de pierre où la source généreuse bouillonnait. Nous nous adossâmes au muret couvert de mousses brunes, nos corps glissèrent au fond de l’eau. Dès que nous fûmes immergés, nous ne sentîmes plus nos corps pesants, la fatigue graduellement disparût laissant place à un bien être proche de la béatitude.
La nuit était profonde et les rayons de la lune brillaient à la surface de l’eau, aussi luisants que des lames d’épées.
Nous étions assaillis par une sensation étonnante, nous étions rivés au sol et l’énergie qui se développait en nous croissait vertigineusement. Nous demeurions figés dans une ivresse extatique, et nos corps peu à peu se transformaient. Les marques de l’âge s’estompaient, les muscles s’arquaient sous la peau, les blessures s’évanouissaient. Lentement, notre aspect mutait et nous retrouvions l’apparence du passé et la fougue de la jeunesse. Aimantés l’un par l’autre, nos corps se frôlaient, s’absorbaient, se cabraient, répondant au désir charnel irrépressible que les pouvoirs de l’enchanteur réveillaient en nous.
A la surface de l’eau, l’image que nous renvoyait la lumière de la lune était celle d’un corps à deux têtes, ondulant au gré d’une étreinte puissante, chacun puisant sa force en l’autre. Nous admirions le reflet de cet être étrange et fascinant, transfiguré par l’union sacrée de deux héritiers de l’ancien clan, le corps d’un être unique et chimérique, agité de spasmes violents, puis un vertige indomptable s’empara de moi jusqu’à l’étourdissement.
Quelques minutes après que j’ai sombré dans l’absence, j’ouvris de nouveau les yeux. Le barde semblait lui aussi s’éveiller et nous entendîmes un chant. Le visage de l’ancêtre nous apparût et nous écoutâmes son lied, les mots qui s’échappaient de sa bouche se transformaient en feuilles minuscules qui bientôt recouvrirent totalement le bassin, nous baignant dans une douce lumière verte.
Il bénissait notre épopée et notre union, il vantait les bienfaits de l’amour des êtres purs, évoquant les liens éternels qui l’unirent à sa fée ; puis, disparût le temps d’un clignement d’œil.
Prenant appui sur le sol pierreux, nous nous redressâmes, et, assis dans la fontaine, recouverts de la multitude de feuilles minuscules qui flottaient sur la source, nous sentions toujours nos corps vigoureux et rajeunis, nos muscles et nos os étaient revigorés.
Notre apparence n’avait pas changé, les cheveux de Sir W-L demeuraient aussi blancs que la neige des hautes cimes. Nous semblions l’un et l’autre avoir traversé la vie depuis les rives lointaines de notre jeunesse passée, mais nos cœurs battaient d’une ardeur nouvelle et nous ressentions avec émerveillement un désir l’un de l’autre, aussi violent qu’il était ancien, et la puissance de nos corps retrouvée.
Nul n’était besoin d’aider le PennBarzh à marcher, il martelait le sol de ses pas de géant. L’eau ruisselait le long de son corps, laissant sur la terre des flaques scintillantes au creux desquelles apparurent de petites pousses de trèfle qui croissaient à une vitesse époustouflante et dont les boutons ouverts laissaient apparaître des grappes de fleurs blanches.
-« Sir W-L, l’Ancêtre vénéré vous bénit »
Le barde se retourna, et vit le long du chemin qu’il avait parcouru, une guirlande de tréfoil étincelante. -« Sa bénédiction est tienne également Epoha. »
Il s’approcha de moi, passa sa main dans mes cheveux et me présenta une poignée de perles de givre, brillantes et moirées qui, au contact les unes des autres se soudèrent en une bulle grosse comme une pomme. Nous regardions la sphère étrange, et vîmes à l’intérieur, la fontaine, et nos corps mêlés dans une étreinte ardente, puis, la bulle s’évapora.
-« Il semblerait que notre père nous veuille liés Sir W-L »
-« Nous le sommes depuis bien longtemps Epoha, sans doute souhaitait-il que nous ne l’oubliâmes pas. »
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Les trois chevaux avançaient, sur la large allée bordée d’arbres dont les branches se rejoignaient, formant un arc au-dessus du chemin. Des rays de lumière traversaient ça et là l’épaisseur des hautes futaies, éclairant les profondeurs de la forêt. Lorsque le chemin devint trop étroit pour permettre le passage du chariot, nous emportâmes le coffre de bois et les outils, poursuivant le sentier en marchant. Les brumes semblaient s’élever du sol lorsque nous longions l’étang, puis à mesure que nous avancions, elles dissimulèrent le chemin derrière nous, ne laissant par endroits que la pâle lumière du soleil têtu pénétrer au cœur du monde caché.
La pierre dressée indiquait la proximité de la clairière, la caisse fut posée au pied du chêne séculaire au tronc noueux, les racines du vieil arbre affleuraient à la surface du sol, formant d’étranges reliefs mouvants. Féarn m’aida à creuser le sol, et lorsque la niche fut assez profonde, le PennBarzh et Rin les Marteaux y déposèrent coffre qu’ils fermèrent en clouant solidement le couvercle.
Chacun d’entre nous recouvrit la petite fosse de terre et prit place dans le cercle de cérémonie.
-« De la chair à la terre, que la force de Goibh-Nu revienne aux arbres, à la sève et au sang, notre vie infinie »
Les feuilles humides furent étalées à la surface de la terre, puis recouvertes de feuilles rousses et dorées, avant que nous ne rebroussions chemin vers le chariot. La brume arrivait lentement, frôlant le sol, elle s’étalait le long du sentier, dépassa le groupe pour arriver près de l’arbre qu’elle entoura en s’élevant lentement, recouvrant le gîte où résidait le bras du guerrier. Sous les volutes de brouillard, nous distinguions le mouvement des racines du vieux chêne qui se déplaçaient lentement, refermant leurs bras protecteurs sur la dépouille ensevelie de notre ami.
De retour à l’attelage, Rin troussa la paille pour dégager le bras d’argent qu’il avait enfoui, puis, nous prîmes le chemin de la source.
De grosses bulles qui remontaient du fond troublaient la surface de l’eau. Le forgeron y plongea la pièce d’armure. Les bulles devinrent plus nombreuses, l’eau se mit à bouillonner avec une vive effervescence. Nous formâmes un cercle autour de la fontaine, et entonnâmes l’ode des résurrections
-« Eget hor Gourc’hemen noù Frealz degaz ar Galloud hon Nerzh kreskiN » *. . (Que notre commémoration de consolation confère le pouvoir que notre force s’accroisse)
Une lumière blanche, provenue du fond de la marre étincela sur le métal du bras, le faisceau lumineux s’éleva hors du bac de pierre jusqu’à rejoindre un rayon du soleil perçant entre les branchages touffus. Les bulles qui se formaient dans l’eau se paraient de reflets moirés, les prismes colorés comme des arcs-en-ciel projetaient leurs feux et se reflétaient sur le bras d’argent. L’eau s’apaisa et la lumière disparût. Rin rompit le cercle et sortit l’armure de la fontaine, elle portait entrelacées les marques gravées par la lumière ; des cercles enchevêtrés figurant l’esquisse de vagues roulottées entourant le membre métallique.
Chacun d’entre nous posa ses doigts sur l’œuvre de Rin, parachevée de la main lumineuse des Très Anciens, le métal était glacé, et l’on pouvait sentir les sillons et les reliefs, l’empreinte de la lumière blanche vibrait, emprisonnée au cœur des particules d’argent.
Le bras neuf fut recouvert d’un drap et si tôt arrivés au chariot, Rin le déposa sur le lit de paille. Le convoi s’ébroua, longeant la large allée où les aulnes enlaçaient les frênes, le soleil perçait d’avantage entre les branches illuminant les voiles opaques de brume.
Lorsque nous fûmes de retour au château, Th vint à notre rencontre et nous annonça que Goibh avait repris connaissance.
-« Il est faible mais sa raison est ferme, déterminé à reprendre sa place au sein du conseil et à participer aux festivités du départ, il sait qu’il ne pourra pas partir mais accepte de bonne grâce de retrouver son rôle de gardien de forteresse, il prétend que l’hydromel lui serait fort salutaire ! »
-« Ha ! Ha ! Ha ! Voilà bien un réveil qui lui ressemble ! Allons lui rendre visite ! »
Goibh se tenait assis dans le grand lit, arborant un fier sourire de vainqueur, la joie de revoir ses anciens compagnons se trahissait par l’émotion intense de son regard.
Rin, Th et Lobair lui expliquaient que son bras allait être remplacé par la prothèse. -« Vous voulez encore m’envoyer au pays des songes ! Allez ! Je ne serais pas un mauvais client pour mon chirurgien ! Mais je brûle de curiosité ! Rin, allez ! Fais-moi voir ce vieux bout de bois que tu as taillé avec un canif émoussé ! » Rin posa le drap de lin sur le lit de Goibh, qui tirait doucement le tissu, hésitant à dévoiler l’objet. Une douce lumière blanche apparût entre les pans de l’étoffe, le bras articulé et ciselé retenait l’attention du blessé, émerveillé par le chef d’œuvre que Rin Les Marteaux avait réalisé.
-« Oh ! Je ne peux pas le croire, est-ce encore un des tes tours de sorcière ma fidèle Lobair ? »
-« Non, Goibh, ce n’est ni un rêve, ni l’effet de mes élixirs, seul ton corps reste encore dans les éthers, ta conscience est bien vive ! »
-« Mais, avec un tel bras, je réduirais les chiens de l’enfer en poussière ! Comment ? Comment vas-tu faire pour que cette armure, enfin, pour remplacer mon bras par l’armure ? »
-« Ton bras était vilainement atteint et je voudrais que tu saches certaines choses avant que Lobair t’explique l’opération… »
-« Ah ! Sir W-L ; Noble PennBarzh, je vous écoute… »
-« Ton bras repose en terre, sous les grands arbres, nous l’avons confié à la forêt, tes amis ont creusé une fosse de la hauteur d’un homme, et le coffre dans lequel il demeure a été cloué par mes soins et ceux de Rin. L’armure a reçu les augures des Très Anciens, et je gage que tu vivras plus longtemps que nous tous. »
-« Goibh, mon ami, j’ai assemblé la cubitière, le canon d’avant bras et le gantelet de façon à ce que ta silhouette te soit de nouveau plaisante… »
-« Mais, crois-tu que je pourrais me servir du bras, de la main, je veux dire, boire et manger, défendre nos terres ? »
-« Tu le pourras Goibh, mais… il te faudra faire preuve de patience. » -« Lobair, comment comptes-tu nous unir, je veux dire, moi et mon nouveau bras ? »
-« Nous devons t’endormir mon ami, et percer l’os de ton bras pour fixer la tige qui maintiendra l’armure, l’argent est léger, il ne te pèsera jamais, mais j’aurais préféré attendre que les chairs cicatrisent. Hélas, nous devons partir, et aucun de nous ne souhaite te laisser manchot pour défendre le Mont M. Ta nature est solide, les êtres du clan sont taillés dans le granit à ce qu’il me semble ! Nous t’opérerons tout à l’heure, si tu le souhaites, et l’eau de la fontaine fera son œuvre à son tour… »
-« Oui, je préfère cela, comment pourrais-je garder la forteresse avec un demi-bras… Si je garde l’épée dans cette main, restant sur le qui vive sans trêve, dites-moi un peu de quelle main je lèverais ma chope d’hydromel ? Ha ha ha !!!! »
-« Le conseil ne s’oppose pas à ton vœu Goibh, mais je dois t’apprendre une bien mauvaise nouvelle, arme-toi de courage pour écouter ce que va te dire le PennBarzh… »
-« Ah !…Je suis d’un tempérament robuste, et mon âme est forte, qu’y a-t-il donc de si terrible Epoha ? Oh !…Je ne sens plus mon corps avec toutes ces drogues…Ne me dîtes pas que j’ai perdu, je veux dire…J’ai commis des fautes, mais … Noble PennBarzh…Suis-je toujours un homme ? Enfin, je veux dire … »
-« Ah ! Voilà notre pauvre Goibh bien inquiet ! Rassure-toi, il ne te manquait que la moitié d’un bras ! Mais, la mauvaise nouvelle est que tu devras jeûner encore quelques temps, au moins jusqu’à ce soir ! Quant à nous, nous avons grand besoin de nous restaurer ! Mais … ce soir, tu seras des nôtres à la grande table du Conseil !!! »
-« Oh! Epoha! Sir W-L!!! Vous n’estes que des chenapans ! Attendez un peu que je sois sur pieds !!! Quelle peur vous m’avez faite! »
-« Mon pauvre Goibh ! Je ne pensais pas t’effrayer ! Sois calme et serein nous serons de retour tantôt, les Très Anciens te gardent ! »
Nous laissâmes notre ami tout absorbé à la contemplation de la pièce d’armure pour aller prendre un repas dans le grand réfectoire. Les compagnons de Goibh s’y trouvaient, pour la plupart attablés, nombre d’entre eux portaient pansements et bandages, mais leurs blessures ne semblaient pas avoir ruiné leur appétit. Après avoir goûté aux soupes d’herbes et au pain frais, je quittais le mess pour rendre visite aux blessés restés dans les dortoirs.
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Nous découvrîmes une île minuscule formée d’une pierre unique en forme de berceau, recouverte de mousses colorées d’une multitude de tons changeant sous les rayons de lune, du gris scintillant au vert le plus sombre, l’eau autour de l’îlet se dissimulait sous les brumes.
Au creux de la pierre se reposait une fée, elle semblait endormie. Soudain, sans que nous l’ayons vu remuer, la fée était assise, nous faisant signe d’approcher en désignant les Anciens parmi nous ; puis d’un large geste de la main, elle transforma l’eau en une épaisse couche de glace.
Nous avancions vers elle, nous glissions lentement sans que nos pieds semblent toucher le sol. Nous nous assîmes autour d’elle, et la saluèrent avec un infini respect.
Elle ne disait mot, mais nous percevions son message, elle nous avertissait d’un danger proche et très sombre, traquant les passants sur la route que nous prévoyions d’emprunter. La plupart d’entre nous connaissaient cette fée, nous l’appelions la Dame Hiver « Toute petite, elle a les yeux verts ,et sa peau est blanche comme le givre. Vêtue de longues jupes noires et d’une capeline de velours, ses mains sont fines. Puissantes, elles commandent le vent, le givre, la neige et les tempêtes. Sa colère peut provoquer le blizzard, et bien d’autres tourments encore. »
Ils étaient déjà bien proches les miliciens qui arpentaient les routes, et bientôt ils seraient face à nous, il n’était plus possible de changer de chemin ni de se cacher.
La Dame Hiver
Lorsque la Fée
La bourrasque avait cessé et la neige tombait doucement, les flocons voletaient comme des plumes. Chacun offrit en remerciement un cadeau à la Dame Hiver.
Un nombre terrifiant de cadavres éventrés, projetés au gré de son souffle violent, pendouillant et dégoulinants, suintant depuis les plus hautes de branches jusqu’au sol. Les silhouettes des arbres grossies par les corps agglutinés s’étendaient au loin jusqu’à l’horizon, puis plus loin encore, si loin, que nous ne pouvions voir, malgré la clarté de la lune. Les loups de la meute ne purent s’empêcher de dépecer ça et là les corps de quelques manants à terre, l’aigle du barde s’abattit d’un piqué pour planter ses becs dans les corps arrimés à la cime des arbres.
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La compagnie rassemblée dans le réfectoire était d’humeur joyeuse et l’archer d’Edo glissait sur les cordes, les convives martelaient le sol d’un pas ferme, tournant et virevoltant Seth et Rodh chantaient.
“As long as my dagger bright I’ll belong to the Order As long as our way is fight I’ll be proud to stay brother! Any road drives us to Light I have strength and my honour It’s my pride to be a knight I’ll give my arms, my heart I’ll still go head up and high Order needs a brave soldier “
Nous prîmes place au milieu de la danse qui allait bon train, les novices apportaient des chopes débordantes de mousse, la table en fut bientôt tout encombrée. Après que la danse eût cessé, nous nous attablâmes, les chopes s’entre cognaient, les « Slanchee » résonnaient ; nous avions, l’espace d’un instant retrouvé l’atmosphère de nos rencontres joyeuses du temps de l’Avant. Les marmitons avaient préparé du butter-broad et des scones que nous dégustions comme un repas de fête, pendant que le PennBarzh jouait et entonnait d’anciennes odes irlandaises
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Au-dessus du château, les Ailés dansaient et tournoyaient, en répondant aux cris de l’aigle juché sur l’épaule du PennBarzh.
-« Je vous attendais, je ne dispose que d’une colonne d’à peine six hommes, mais nous sommes équipés et prêts à prendre la route ! Rowan ! Que d’années se sont écoulées ! Mais le temps nous presse, je salue chacun d’entre vous, gentilshommes et dames ! Je ne peux malheureusement pas vous offrir de quoi nourrir les chevaux, l’endroit est désert, nous ne sommes arrivés que depuis deux jours et avons subsisté avec nos réserves. Quoi qu’il en soit, ce lieu transpire le sang par les pores de chaque pierre, ne nous éternisons pas, cet endroit est maudit. »
Les mots de Llyow n’étaient pas métaphoriques. En contrebas, le château m’était apparu ocré, mais les pierres, maculées de sang, étaient blanches sous l’épaisse résine visqueuse qui en suintait. Je m’approchais des murs, les pierres susurraient, des plaintes si anciennes qui traversaient les âges. -« Les saigneurs renaissent, les saigneurs renaissent… »
Les loups de la meute se couchèrent en cercle d’un air résigné, et émirent des gémissements déchirants.
Les hommes de Llyow, novices pour la plupart, repliaient la bâche qui leur avait servi d’abri, fixée à la muraille des ruines d’une tour qui dominait la vallée et depuis laquelle on ne voyait qu’une épaisse mer de brume.
-« Llyow, tes hommes sont exténués, le temps nous presse, mais pas au point d’envoyer des ventres creux à la guerre. Asseyons nous et déjeunons, le soleil est en milieu de course, nous ne traverserons pas à découvert en journée, notre chemin nous obligera à traverser des villes, et nous serons au prochain gîte dans la soirée. »
-«Tu as raison, Malachie, je ne voulais pas vous retarder. »
Les Chevaliers s’assirent sur le sol, les novices sortaient les vivres des paniers et portaient à chacun galettes, fruits secs et boissons ; d’autres soignaient les chevaux. Les apothicaires examinèrent les recrues de Llyow et distribuèrent des remèdes.
-« D’où viens-tu Llyow ? »
-« Oh ! Noble PennBarzh ! Dans la précipitation, je ne vous avais pas reconnu ! Nous sommes partis des terres de l’est, j’y ai rencontré Lord B., il m’a donné les grandes lignes de mon itinéraire et m’a confié les hommes qui m’accompagnent, ils servaient dans sa garde. Nous avons fait très peu de haltes, les Très Anciens ont guidé mes pas, et me voici ! »
-« As-tu des nouvelles des factions du nord ? »
-« Dame Epoha ! Décidément je suis un piètre chevalier ! Nous sommes partis depuis peu et j’avoue que les apothicaires me seraient d’une grande aide ! Je suis exténué, j’ai consacré mes derniers efforts à protéger le site et je n’y vois plus très bien ! Veuillez me pardonner ! Le nord, oui… De sinistres nouvelles en fait. Les terres sont aux mains de l’ennemi, les factions ne pouvaient livrer bataille, s’eût été peine perdue. Tous les soldats de l’Ordre ont rejoint les centres de l’est, y compris votre armée du Meath, et c’est là que nous nous sommes séparés, beaucoup descendent vers le sud et reforment des armées. » -« Sir W-L, personne n’est mort ici depuis plusieurs siècles, cela fait longtemps, bien longtemps… Mais rien n’a changé vraiment, comme si les bourreaux du passé surgissaient d’outre-tombe, et les pierres nous avertissent, le danger est proche. »
-« Dame Epoha a raison noble PennBarzh, lorsque nous sommes arrivés ici, les pierres étaient blanches, elles ont commencé à suinter, puis à émettre des sons, je devrais dire comme des cris étouffés et sifflants depuis que j’ai levé le rideau de brume. C’était effrayant, c’est aussi pourquoi mes hommes étaient si pressés de quitter cet endroit maudit. »
-« L’endroit n’est pas maudit plus qu’un autre Llyow, les vieux arbres et les pierres sont les témoins de l’histoire et ils racontent à qui sait les écouter. Il s’est passé des horreurs sur ces terres, c’était il y a fort longtemps. Mais, l’histoire est une spirale sans fin et les horreurs du passé, sitôt enterrées ressurgissent et trouvent d’autres hommes pour ranimer leur flambeau. »
óóóó
X
Entraînés par la meute, nous contournâmes le fort et pénétrâmes dans un boyau pierreux, assez vaste pour que les hommes s’y tiennent debout, tenant les chevaux à la bride. La pente était assez raide, mais en quelques instants, le tunnel nous avait conduits à l’entrée du village. Laissant la troupe aux abords du souterrain, je m’approchais avec quelques hommes de l’endroit d’où s’élevaient des clameurs.
Sur la place de la ville, je comptais quinze camions autour du rond-point, de même qu’un cortège de hauts fourgons bâchés roulant au pas, une voix fielleuse s’échappait d’un haut-parleur.
-« Bon sang, Llyow, ce ne sont pas des miliciens, qu’est-ce que c’est ? »
-« C’est un chien de prédicateur, Epoha, j’en ai vu dans le nord, il n’est pas là par hasard, ils savent que nous sommes ici. »
Le PennBarzh nous rejoignit, accompagné des Anciens, restant sur nos positions, nous vîmes, dressé sur les fourgons, une sorte de cathédrale de carton pâte. Les piliers de soutien se terminaient par deux colossaux pieds de lions. Le clocher parvenait presque à la hauteur des toitures, et abritait le prédicateur qui haranguait les gens du bourg :
-« Chassons les suppôts de Satan ! Ces impies, fornicateurs et pervers qui droguent les enfants pour les enrôler et leur font faire la guerre entre autres atrocités ! Vous souffrez de la guerre, mes frères, mais savez-vous qui en est responsable ? Ce sont eux, les païens qui copulent avec des animaux, des enfants et même des vieillards décharnés. Mes frères ! Exterminons cette vermine, car Dieu nous l’ordonne. Souvenez-vous : Heureux ceux qui écoutent les paroles de la prophétie, car le temps est proche. Et je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu, ils criaient d’une voix forte : jusqu’à quand tarderas-tu à nous faire justice et à venger notre sang ? Et les voici venir, les chevaux et leurs cavaliers portant des cuirasses de feu, d’hyacinthe et de souffre, et ces hommes continuent à adorer les idoles et ne se repentent pas de leurs meurtres, de leurs sortilèges, de leurs débauches ni de leurs vols, et le pouvoir de la bête les habitent. »
Un mannequin d’osier géant trônait sur la place, le prédicateur y jeta un linge enflammé et déclara :
-« Accomplissez la volonté du Seigneur, vous tous, les égarés, pour le salut de votre âme. Priez, et soyez impitoyables, capturez les envoyés de la bête et jetez les au feu, car ils ne sont pas humains, et la guerre n’aura de cesse tant que ces créatures démoniaques hanteront nos terres. Les hommes de Dieu ne marchent pas nus dans les forêts, ces mécréants adressent leurs prières aux pierres et forniquent sur les tombes, ils chevauchent des animaux sauvages les soirs de sabbat. »
Puis, à l’aide d’une longue tige de saule, il fouettait l’air en direction des badauds qui s’attardaient au passage du Monstre Cathédrale, hurlant, tel un chien enragé :
-« Hâtez-vous avant le déluge mes frères, car Dieu tout puissant est là qui vous observe et vous appelle ! Lancez vos chiens, balayez les collines et remplissez les trappes de ces insanes vermines ! » Nous rebroussâmes chemin vers le tunnel et rameutâmes l’armée. Le PennBarzh annonça à la compagnie à quelle folie nous allions livrer bataille. Les pauvres bougres que nous nous apprêtions à envoyer au trépas n’étaient pas taillés pour lutter, mais accablés par la guerre et suspendus aux paroles du prédicateur, ils se battraient avec l’énergie du désespoir. Les camions bâchés pouvaient abriter des miliciens en grand nombre, et des armes, nous aurions aussi à les affronter.
Je me risquai à pénétrer dans le bourg, lançant mon cheval au galop, et visai le prêcheur de ma fronde. La pierre rebondit sur la toile peinte de la cathédrale de mascarade, provoquant la colère de l’orateur, qui envoya les villageois à ma poursuite.
Arrivée sur les hauteurs de la colline, je vis les gueux courir dans ma direction. Les Chevaliers attendaient, en embuscade. Lorsque tous les traqueurs eurent dépassé la ligne de front, le cercle se referma sur eux. Armés de couteaux, de gourdins et de pierres, ils tentaient, malgré leur impuissance, de porter les coups, n’atteignant pas même les caparaçons des chevaux. Ils ne purent résister bien longtemps, ni fuir en quelque lieu que ce soit. Eventrés ou brisés, gisant au sol, survivants et agonisants jetant des regards implorants. Chevaliers sans mercy, nous laissions derrière nous des enfants hagards piétinés par nos chevaux, les cadavres des malheureux villageois en quête d’action de grâce, que les loups de la meute commençaient déjà à dévorer.
L’armée se sépara et encercla la ville pour faire irruption sur la place par toutes les rues qui y menaient. Rowan et Llyow enjoignirent leurs forces et soulevèrent les brumes du sol. Alors des nuages épais, comme l’écume battue sur les roches d’Aran, commencèrent à s’assembler en de sombres masses qui rapidement s’étirèrent, se multiplièrent à l’infini, et, dans un grondement sourd formèrent une horde de Kelpies, ruant, hennissant, et galopant. Les orbites vides, les naseaux soufflant une brume rougeâtre, les sabots pilonnant le sol bruyamment, les Kelpies s’abattirent sur le prédicateur horrifié. De ses vociférations, ne parvenait plus qu’un murmure étouffé. Les soldats décochaient des flèches enflammées dans la toile du monument qui s’embrasa, les frondeurs brisèrent les vitres des camions et les incendièrent avant qu’ils ne nous pourchassent. Mais bientôt, les miliciens armés sortirent des véhicules et le corps à corps commença. Nous descendîmes des chevaux et chargeâmes quelques novices d’emmener le troupeau à l’abri. Les coups de sabres courts tombaient à l’aveugle. Les Chevaliers brandissant l’épée d’une main et la massue de l’autre besognaient ardemment, alors que d’autres miliciens sortaient des maisons en grand nombre. Les factions redoublaient d’ardeur et piétinaient dans leur course les corps des gisants. Toute la place s’embrasait, et les flammes couraient jusque dans les maisons. Notre armée combattait dans une couronne de feu. Les créatures fantastiques continuaient de galoper, terrifiant les soldats du prédicateur, qui, pour certains, pris de panique, se jetaient dans les bouches enflammées des maisons incendiées.
J’aperçus Sir W-L charger un groupe de Bleus-Marine qui se dirigeaient vers un camion. Piquant de ma lame les charognards en travers de ma route, je parvins à rattraper le Barde qui croisait le fer d’une main et cognait de sa massue de l’autre. Pendant que nous repoussions le rang serré de nos ennemis, d’autres ôtaient la bâche d’une remorque sur laquelle était chargé un canon léger. La dague en avant, j’éventrais un des guerriers, puis, bientôt épaulée par le Barde, tranchant et pourfendant les gardes, nous parvînmes à renverser le mortier. Le temps que nous fassions volte face, un autre groupe de miliciens nous surprit et fondit sur nous comme un essaim de frelons. Edo et Lugh nous prêtèrent main forte, et lorsque ce bataillon fut terrassé, nous découvrîmes le PennBarzh inerte, étendu au sol. Soufflant dans le manche creux de ma dague, le son perçant du ralliement s’éleva sur la place, ameutant les chamans et accroissant la véhémence des Chevaliers. Le sang s’épanchait à la vitesse d’un torrent de montagne, Lobair et Neagh arrivèrent. Elles enserrèrent la cuisse d’une écharpe, puis, aidé de Rin, nous transportâmes le Barde anéanti jusqu’aux chevaux. Les apothicaires m’aidèrent à rentrer au château, empruntant les souterrains, puis nous déposâmes le corps du barde sur le sol d’une caverne. J’ôtais le garrot avec précaution, puis découpais le houseau de ma lame, le sang giclait de l’entaille. Les herboristes me donnèrent les onguents que je devais appliquer avant de cautériser la blessure, allumèrent un feu pour y plonger mon épée, puis repartirent au combat me souhaitant de ramener Wail-Lac’h à la vie.
J’épongeais le front du barde, posais un linge humide sur ses pieds et vis, à côté de l’endroit où nous l’avions étendu, la trace fossilisée d’une patte d’ours. Soulevant avec grand’ peine son corps meurtri, je posais sa tête au creux de l’empreinte.
Etalant les baumes sur la cuisse avec douceur, et lorsque, les chairs furent nettoyées des impuretés et des caillots sanguins, je découvris la profondeur de la blessure. L’entaille béante laissait apparaître l’os, dans lequel demeurait planté un éclat de métal sombre. Je sentis mon cœur défaillir, une affliction immense me saisissait, et une haine féroce m’étouffait. Il me fallait me hâter et les larmes brouillaient ma vue, je plongeai les lames jointes de nos dagues dans la plaie pour déloger la pointe de fer. Il me fallut plus de courage pour tenter de sauver le PennBarzh que pour occire cent hommes. L’éclat de métal ôté, je me précipitais à l’autre bout de la caverne, prise de vomissements, le ventre creusé par des spasmes violents, tétanisée. Je luttais contre ma propre inertie, et entendais l’appel silencieux et désespéré de Wail-Lac’h qui mendiait ma chaleur du fond de son abîme. Les mains tremblantes, je déposais sur sa cuisse d’autres onguents auxquels se mélangeaient mes larmes. Je massai lentement les chairs, en invoquant l’ancêtre vénéré.
-« SlAnnSlOar Ius HenDAD diKsèN Jher Laird HenDAD zhelVin meHn WeLdedt Barzh GaLLad GiSa GwaR ErzHedt HEM . GreizKalon IdoiGO sAvh IdR LeldFerN Henr hEz SouDn HEM heZacBalP HenDAD SonalZendt AriNaOP HEM bOgon NaMarL SeGor Lupuz BinePhT AdmeRdt RezudH FoHr GhAdA IuS Ide LugaM aPtA HiEmBeulCz DisEk meHn Tarhr RezudH meHn HoEnTeGezH aT gAlIAd ».
-«Dame Epoha ! Dame Epoha ! Les soldats reviennent ! »
Il me semblait revenir, moi aussi, d’un voyage long et périlleux, lorsque Lough pénétra dans la grotte, m’extrayant de ma stupeur. Puis, les Anciens et les Sages s’installèrent autour du corps blême. Mes mains jointes aux siennes, je ne quittais pas le Barde, des heures durant, alors que nous le veillions, attendant son retour.
-« Epoha, notre armée a subi bien des pertes, le PennBarzh dort entre les mondes, presque cinquante novices et douze Lupus restent à Anaon, Malachie est blessé, mais il se remet. Nous avons écrasé le nid de vipère et pendu le prédicateur. Ma foi, ils étaient plus de deux cents. Rin, Ridwein et ceux des Lupus qui peuvent encore œuvrer chargent des pièces de métal, Rin doit faire une prothèse pour son frère Wail-Lac’h. »
-« Ah ! Rowan, la victoire m’est bien amère, j’en suis fière, pour l’Ordre et pour notre armée qui n’a pas démérité, mais mon cœur est trop lourd pour chanter des louanges. Je dois partir à présent que les apothicaires ont dispensé leurs soins. Th, fais vite mon amie, le barde m’appelle, il ne saurait revenir seul, prépare un philtre, hâte-toi, je t’en prie. »
-« Epoha, j’ai emporté un remède de Fath Ann. Du, c’est un poison violent que je maîtrise fort peu, mais si je le dilue suffisamment, il pourrait convenir. »
-« J’ai foi en ta science mon amie, allons, je dois partir ! »
Th quitta la grotte et revint rapidement, elle me présenta le liquide visqueux, une mousse brune collait aux parois de la timbale. Elle porta le récipient à mes lèvres, et j’ingurgitais la potion, puis, m’allongeais aux côtés du PennBarzh.
Sa plainte lointaine me guidait. Je traversais une galerie rocheuse et sombre, aux parois poreuses et bosselées, obstruée par des algues brunes et poisseuses. Je trébuchais en chemin sur des branches sèches et épineuses, puis, me heurtais à un épais bloc de pierre accolé à la muraille qui fermait à demi le passage.
Grattant le sol sous l’obstacle, je dégageais un espace et poussais laborieusement la roche qui pivota suffisamment pour me permettre de rejoindre la voix faible du Barde. J’avançais dans ce long et tortueux souterrain jusqu’à ce que je trouve sur mon chemin une pierre couchée, sous laquelle il me fallut creuser encore, avant de pouvoir ramper, le dos déchiqueté par la dureté du granit. Soudain, je fus immergée au fond d’un lac, aux eaux troubles et vaseuses. La plainte du Barde était plus perceptible. Je distinguais une lueur bleutée vers laquelle je me dirigeais, et qui me rapprochait des lamentations. La lueur provenait d’un immense cocon de chairs en lambeaux et de voiles vaporeux, à l’intérieur duquel le PennBarzh se tenait recroquevillé. Je m’approchais de son berceau de nimbes, sa peau devenue translucide laissait apparaître ses veines, les mouvements du sang, et son cœur écarlate, aux palpitations lentes et irrégulières, si proche de l’épuisement.
Mes mots rassurants parvenaient à son esprit, le berçant d’amour, le convainquant de renaître à la vie, et de franchir la limite des mondes. Il ouvrit les paupières, lentement, les larmes inondaient ses yeux opaques et incolores, je lui tendis la main. Le visage crispé de douleur, il se glissa lentement entre les filaments noueux, traversant la paroi, devenue soudain aussi rêche qu’une barrière de corail. Le sang s’échappait de sa peau déchirée par les récifs, son cœur hoquetait, le souffle coupé par la souffrance. Je l’aidais à me rejoindre, agrippant ses mains fermement Lorsqu’enfin il eut franchi le seuil, il s’effondra, écrasé par la lourdeur de l’air. La vision de son corps, monstrueusement transfiguré, en cet état d’entre deux mondes, m’était insoutenable. Pourtant, ses yeux vides, fixant les miens, recevaient mon amour immuable, et, se rivant à cette passion fidèle et loyale, il me suivit hors du tombeau. Il s’agrippait à mes mains, les pressant à les rompre, poussa un hurlement terrible et long, qui semblait ne jamais finir, et revînt à la vie, éprouvant des douleurs auxquelles un humain ordinaire eut succombé. Vidée de mon énergie, je me sentais comme échouée sur la grève après un naufrage, mes os liquéfiés ne pouvaient plus tenir mon corps raide. J’ouvris les yeux, les apothicaires s’affairaient à nous soigner, et je sombrai en souriant, soulagée que le barde soit allongé près de moi, pâle encore, vieilli d’avantage, mais vivant.
Les herboristes durent élaborer un remède particulier afin de n’endormir que la jambe du PennBarzh, et permettre à son corps de dissiper les effets des drogues qu’il avait secrétées. Un philtre trop fort aurait eu raison de son cœur.
En m’éveillant, je vis les chandelles illuminer la chambre, le voile de la nuit s’étendait déjà au dehors. Le PennBarzh se tenait assis dans le lit, le dos soutenu par d’épais coussin, un drap jeté sur ses jambes.
-« Quel soulagement de vous revoir, vous étiez parti si loin. »
-« Le voyage a été long pour toi aussi. Je n’étais pas certain que tu puisses m’arracher à Anaon, mais, je ne te demanderais plus de me rappeler la force de nos liens, Oath. »
-« Les apothicaires ont-elles sauvé votre jambe ? »
-« Oui, mais sans tes pouvoirs, leurs onguents n’auraient pu agir. C’est une étrange impression que ne pas sentir un membre, comme s’il avait disparu. Je ne sens que la lourdeur de ma jambe qui pèse au bout de mon corps, Rin a du faire des prouesses de dentellière pour réunir les chairs. »
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Nous pénétrions dans la montagne noire, les roches et les arbres se confondaient, et il devenait impossible de distinguer le chemin à plus de vingt pas. Enfin, nous découvrîmes une cavité, j’y entraînais les chevaux, et aidais Wail-Lac’h à s’étendre au sol. A la lueur d’une faible flamme, je découvris des lierres et des lianes sèches agrippées aux parois, je les détachais et allumais un feu, puis masquais l’entrée de la grotte en accrochant la bâche et nos capes. Les bandages étaient humides malgré leur protection de fortune, et adhéraient à la plaie. Je préparais un maigre repas et la dose du remède, réchauffais Wail-Lac’h qui grelottait et déposais au dehors un récipient. Les pansements absorbèrent l’eau tiédie au feu et se détachèrent aisément.
-« Les sutures ont-elles résisté à cette macération ? »
-« Ne soyez pas inquiet, j’avais enduit la plaie d’une épaisse couche de miel et d’un onguent spécial, ce n’est que le cataplasme qui opposait une résistance ! Regardez, la peau est reformée sur la presque totalité de la plaie. Une peau neuve et rose, fragile et douce. »
-« Je ne ressens pas le contact de tes doigts, ni le froid, ni la tiédeur de l’eau, sans doute les nerfs sont-ils morts. »
-« Non, ils dorment encore ! Les cataplasmes contiennent de puissantes drogues, dans quelques jours, vos sensations seront restaurées ! Mais il est nécessaire que la plaie soit encore insensible, la douleur vous épuiserait. »
-« Je n’ai pas hâte de souffrir, mais j’aimerais pouvoir faire quelques pas, explorer cette tanière, il me semble que je bouge au ralenti alors que le temps nous presse et que je suis en ébullition, un moteur puissant retenu par des freins invisibles ! »
-« Je comptais explorer les abords de la caverne, je vous raconterais ce que j’y ai vu. Il est plus prudent que vous m’attendiez tranquillement. »
-« Epoha, ma deuxième jambe est solide, mes forces reviennent, et je voudrais essayer de marcher en prenant appui sur une branche, je ne poserais qu’un pied au sol. »
Je tranchais dans les bois, une branche solide, la rapportais dans la grotte et entrepris de la façonner, pendant que Wail-Lac’h confectionnait une torche. Lorsque j’eus terminé, le Barde prit appui sur le haut de la canne puis nous partîmes vers l’intérieur de la cavité, brandissant le flambeau imbibé d’huile. Le PennBarzh claudiquait, sautillant sur un pied, ravi de pouvoir enfin se mouvoir. La galerie s’élargissait, descendait en pente douce, et nous arrivâmes rapidement au cœur d’une voûte au dôme immense. Les parois brillaient de cristaux d’aragonite qui reflétaient la lumière de toutes parts, les limites du sol, blanc et luisant comme une banquise, se découpaient à quelques pas, laissant place, soudain, à une vaste étendue d’eau. Puis, nous découvrîmes avec émerveillement, une méduse géante et lumineuse, cascade cristallisée et gracieuse de calcite aux teintes marbrées d’un rouge phosphorescent.
Allongés sur le miroir de pierre, les yeux rivés aux lustres stalactites, suintants et prodigieux, nous demeurions béats d’admiration, transportés dans ce décor féerique, nous décidâmes de passer la nuit dans ce palais extravagant. Nos vêtements posés sur le sol formaient un matelas rudimentaire, et, enveloppés d’une douce chaleur, nous oubliâmes quelques heures durant, les affres de notre destinée.
La lumière ocrée, déposait sur la peau de Wail-Lac’h des reflets scintillants, redessinait les reliefs de son corps, par touches d’ombres, aux creux secrets abritant la peau douce, illuminant le duvet pâle de nuances fauves, irradiant la masse colossale, reposée, moelleuse et paisible, aux muscles saillants et aux rondeurs avenantes. Ressurgit alors la soif de la peau qui frémit et frissonne ; car les ans n’éteignent pas la faim vorace de la vie, ni l’indomptable besoin, ni le primitif appel des chairs qui se frôlent, s’épousent et se confondent, des corps qui se fracassent comme la mer sur les rochers, mus par l’impérative lune qui ordonne à la nature, et révèlent cette puissance de l’amour paroxysmique, lorsque les corps, agités par la tempête que souffle l’âme, buvant à la source l’un de l’autre, exaltés, exténués, plus vivants que jamais et épuisés pourtant jusqu’à en perdre conscience, enivrés des fluides vitaux, voguent alors sur une mer calme et tiède, vers des rêves sans âge, lointains et consolants, abandonnés au-delà du monde et bercés d’infinis espoirs.
Laissant derrière nous l’Avalon souterrain, nous poursuivîmes notre route après que le Barde ait absorbé la cure. Nous atteignîmes rapidement la pointe qui dominait le versant de la montagne auréolée de teintes roses. Le sentier nous menait vers la combe, et l’aigle se laissait porter par le vent, glissant paresseusement et quiet. Dans la vallée, les arbres parés de mousses ruisselaient de rosée, les champs s’étendaient à l’horizon, entrecoupés de haies et traversés de ruisseaux. Nous longeâmes quelques routes au milieu desquelles l’herbe recouvrait le bitume, les chemins moins tortueux nous permettaient d’avancer au trot et nous avions parcouru une belle distance lorsque le soleil se trouvait à mi-course.
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Dans un recoin de la caverne, une épaisse couche de mousse recouvrait la surface d’une roche ovale. Profitant des dernières lueurs du soir, je préparai le filtre, mélangeant les herbes et les liqueurs, dosant scrupuleusement gouttes et pincées, diluant savamment les essences jusqu’à ce que des volutes brumeuses s’élèvent légèrement au-dessus de la coupe. Visitant la caverne, les mains glissant sur les parois, je sentis une fissure entre deux blocs de roche dont l’un pivota aisément, ouvrant sur une petite cavité. J’y déposai ma besace, mes armes et mes habits, puis refermai la cache invisible. La nuit ne se fit pas attendre bien longtemps et se répandait déjà alentour, puis, entre les épais nuages d’ardoise apparût le halo roux de la lune qui dispersait généreusement sa lumière. Lorsqu’enfin elle fit l’offrande de sa plénitude, ses rayons argentés illuminaient la timbale d’élixir, je retournai à l’intérieur de l’antre noir, et piochant dans la bourse de toile, je répandis la fine poudre d’os sur le sol, traçant un cercle autour de la couche rocheuse. Le contour du cercle de protection captivant les reflets de lune, étincelait vivement, comme des éclats de cristal. M’emparant de la timbale, je m’installai sur l’îlot rocheux, ingurgitai le liquide saumâtre et m’adressai aux plus Anciens des Très Anciens, ceux-là même qui croisaient le fer, bien avant que le mur ne protégeât les Hautes Terres.
-« Thfen du wOlrf d’NalL iKruns defNi TreiDa ShetfO O’fioshl Nowma Nertha Mneobl Wothdi Kresths Whniso WlGhum Hjro Hjro Mushtohj Rtathl Diancecht» Etendue sur la mousse, le sommeil me happa, pourtant, dans les bûmes de l’endormissement, douleurs et craquement d’os constituaient un fil invisible qui me rattachait encore à une lointaine et diffuse mémoire terrestre. Les crispations du corps meurtri et recroquevillé, les mâchoires empiétant dans les chairs par saccades, la peau prête à se rompre, desséchée comme un parchemin, les membres paralysés de douleur, la suffocation, la brûlure de chaque pore dilaté à l’extrême, telles étaient les sensations sans fin que la vie bouillonnante de l’élixir infligeait à mon corps. Le filament devint aussi ténu que l’air puis disparût peu à peu, le calvaire finissant laissait place à une sensation de puissance et de légèreté.
Bondissant hors de la grotte, je m’élançais sur le sentier, les rayons de la lune semblaient tracer un chemin qui s’étiolait au loin. Filant aussi vite que ma musculature le permettait, je voyais les silhouettes des arbres, rougis par la nuit, défiler si rapidement qu’elles formaient presque un mur. La neige tombait, d’épais flocons serrés et doux papillonnaient devant mes yeux. Le sol semblait se dérober, je ne sentais pas le contact de la terre sous mes pieds. Dans ma course, le vent soufflait violemment, sans que je n’en ressente la morsure, protégée par l’épaisse fourrure qui me recouvrait. Le temps s’accélérait, la lune ne cessait de disparaître dès qu’il me semblait la toucher, laissant place à l’astre diurne, puis revenait illuminer ma route, et, avant que je puisse l’atteindre, fondait à nouveau en glissant de l’autre côté du monde. Le jour succédait à la nuit aussi vite qu’elle avait disparu, puis, dès lors que je ralentissais ma course, la lune semblait flâner et m’attendre. Je traversai une rivière, les truites en surface se jouaient de la clarté, frétillant au centre d’un reflet d’argent, dansant entre les cristaux étoilés, je m’approchais à pas feutrés et saisis un poisson que j’occis d’un claquement de dents. Au fond de la rivière, se reflétait l’image humaine d’Epoha qui veillait sur la course de la louve solitaire. De nouveau à la poursuite de la lune, traversant les épaisseurs de neige, dans le silence entrecoupé du bruissement des pétales de givre, je voyais, très nettement les millions de particules surbrillantes, virgules phosphorescentes, s’agitant entre les flocons, tournoyer et se poursuivre en une course joyeuse, à la frontière de l’autre monde. Je sentais une puissance nouvelle et enivrante dans l’extrême solitude de ma quête. L’instinct primaire explosait, se répandait aux tréfonds de chaque molécule. Une rivière en crue, sauvage, déferlait et grondait en moi. L’animus guidait mes pas, aiguisait mes sens avec détermination. Comme elle me semblait lointaine et tiède, la guerrière endormie par les charmes humains. Les odeurs tenaces de la terre, de la mousse humide, des racines et des feuilles se décomposant sous l’épaisseur de la neige, me parvenaient distinctement. Puis, le vent à son tour susurra à mes oreilles, et me confia par une odeur âcre et rance, une présence humaine. Le sol filait plus vite encore sous mes pas, puis, l’odeur devint manifeste. Et là, devant moi, à quelques pas, entre les arbres, je surpris une troupe d’hommes dormant serrés les uns contre les autres, les visages enfouis sous des barbes hirsutes.
A pas feutrés, je m’approchai, flairant sur leurs guenilles empesées de crasse, l’odeur, tenace encore, du sang. Bondissant sur mes proies, mâchoires ouvertes, crocs et griffes acérés, plantés dans les gorges ruisselantes. J’étouffais leurs cris de terreur, je volais d’un corps à l’autre, entre les geysers chauds qui souillèrent bientôt la neige autour des corps. Les hommes balbutiaient, encore engourdis par le froid et le sommeil, retenus prisonniers, englués dans ce qui leur semblait être un cauchemar ou un sortilège. Emergeant enfin des brumes, au cœur de la nuit glaciale, prenant conscience de leur destin, ils demeuraient paralysés de frayeur, cloués au sol par la douleur des déchirures, et ne parvenaient pas à s’enfuir. Les yeux exorbités, découvrant l’horreur des corps éventrés, tripes dégoulinantes et pestilentielles, membres arrachés, la peur suintait sur leurs peaux crasseuses. Les rapaces regroupés sur les branches réclamaient leur dû sous les yeux atterrés des moribonds. Ma besogne achevée, je contemplai fièrement le carnage, et laissai échapper le hurlement des vainqueurs, venu du fond des âges, au-delà de toute mémoire. Le cri, porté par le vent, entre les arbres, dépassant les montagnes, se répandit loin, très loin dans la plaine.
La pupille illuminée par un rayon de lune, je repris ma route saluée par le nuage noir des charognards qui s’abattit en tourbillonnant sur le charnier. Plus rapide que le vent, les narines alertées par des odeurs de suie de bois brûlé et de sang, j’arrivai tout près d’un hameau dévasté aux ruines encore fumantes. Les éboulis des masures recouvraient les corps des infortunés réfugiés, pris au piège par les miliciens que je venais d’occire.
Dans le silence, entrecoupé par le crépitement des poutres effondrées, les flocons chuintant se déposaient sur les braises. Un sifflement léger, derrière les fougères dorées et les rondins moussus me parvint. Un souffle de vie, léger, à peine perceptible, une odeur humaine, faible, noyée par les senteurs puissantes des herbes d’apothicaire.
Caché sous les rameaux, un petit corps recroquevillé, dissimulé tant bien que mal, emmitouflé dans un vieux drap de laine d’où dépassaient quelques longues mèches rousses, entortillées comme du liseron. Sur les branches qui l’abritaient, une gigantesque toile d’araignée semblait former une armure de protection, dentelle brillante de givre, tissée par la magie d’un sort. Il frissonnait dans son sommeil agité de mauvais rêves, je m’étendis tout contre l’enfant pour le réchauffer. Ses tremblements s’estompèrent, ses membres s’étirèrent et je sentis ses doigts agrippés à ma fourrure, s’enfouir en quête de chaleur. Plus puissamment que le bœuf et l’âne, de mon souffle, je réchauffais le petit corps transi. L’enfant se redressa, chassant de sa main les longues boucles de son visage, des yeux verts dorés fixaient les miens, sans crainte. La fillette enroula ses bras autour de mon cou, de petites perles de glace roulèrent sur le sol. Lorsqu’elle eut épanché son chagrin, elle se leva secoua sa cape de lainage et s’en couvrit les épaules. Une bourse d’herbes puissantes pendait à son cou, j’en sentais les fragrances, habiles à duper le flair d’un loup.
-« C’est ma protection, ma grand-mère l’a faite pour moi. »
-« Ta grand-mère devait être une fathliaig… »
-« Les gens disaient que c’était une sorcière. Et toi ? Tu n’es pas un loup ordinaire ? »
-« Les loups ne sont pas des créatures ordinaires, mais effectivement, je ne suis pas tout à fait un loup. Je m’appelle Epoha, et j’ai pris la forme de la louve pour me déplacer plus vite. Les armées des miliciens avancent, et moi, je dois les combattre. »
-« Je m’appelle Lillmoor, et je ne sais plus où aller. »
-« Eh bien, comme tu n’es pas une enfant ordinaire, je peux t’emmener avec moi. Je dois me rendre dans un ancien monastère et là bas, tu rencontreras de jeunes herboristes, elles s’occuperont de toi si tu le veux bien, elles seront ta nouvelle famille. Ta grand-mère est aux côtés des Très Anciens à présent, et, si tu t’adresses à elle, elle t’entendra. »
-« Alors, en vrai, tu n’es pas un loup ? »
-« En vrai !!! Disons que je suis une vieille sorcière, comme ta grand-mère. »
-« Hum, je ne sais pas, tu as du sang collé dans les poils tout autour de ta bouche. »
-« Oui, les loups ont les crocs pointus et sont voraces, mais tu n’as rien à craindre de moi. Je crois que j’ai vengé les tiens en chemin, c’est ce qui explique tout ce sang. Saurais-tu trouver une rivière ou une grosse flaque d’eau par ici ? »
-« Oui, je peux t’y conduire. »
-« Alors grimpe sur mon dos et accroche toi bien, mais je n’irais pas trop vite. »
Quelques minutes après, nous entendîmes le glougloutement de l’eau glissant sur les pierres du lit de la rivière. La fillette descendit de mon dos puis m’accompagna jusqu’au bord de la berge. J’avançais dans les faibles remous, Lillmoor posa ses pieds sur de grosses pierres plates, son pas mit en fuite une tanche en un miroitement de lumières fugaces. Je trempai mon museau, rinçant ma fourrure des éclaboussures de sang séché, et m’ébrouai. La fillette émit un « Oh ! » de surprise en voyant à la surface de l’eau le reflet d’Epoha qui lui adressait un sourire amical. Lillmoor rassembla la masse de ses cheveux sur l’une de ses épaules, s’agenouilla afin d’être plus proche de l’image d’Epoha, prit une longue inspiration, puis, d’une voix claire et haute entonna :
« Viendra viendra la nuit sans fin Du fond des âges La pierre qui tremble Du fond des terres Horizons mornes Viendra viendra la nuit sans trêve Brumes obscures » Du fond des âges Veillent sur nous Anciens et sages » Viendra viendra la nuit du destin »
Elle adressa un signe d’adieu au reflet de ma forme humaine, se relava et grimpa sur mes flancs, agrippant ses doigts dans l’épaisseur de ma peau. Je repris ma course, épousant le vent. Le jour obéissant aux caprices de la lune, luisait un court instant, puis, chassé par la nuit, s’enfuyait en bondissant. Nous traversâmes les contrées en une suite incessante de silences, de vacarmes éclatants, d’images fugitives de paysages confusément mêlés. A mesure que je ralentissais mon pas, les images devenaient plus nettes. Les rocheuses du monastère se découpaient au sommet de la montagne. Gravissant sans peine la pente, je parvins au domaine dont les portes étaient fixées dans la roche. Je déposai ma passagère qui se blottit contre moi, et signalai ma présence en fendant la nuit d’un retentissant hurlement. Lorsque je flairais une présence approchant, je me dissimulai dans l’ombre de la paroi. La porte s’ouvrit, grinçant des gonds. Un pied chaussé d’épais godillots dépassait dans l’entrebâillement, bientôt suivi d’une main abritant la flamme d’une chandelle, puis d’un visage dissimulé dans les replis d’un capuchon de toile sombre. Lillmoor s’approcha du gardien, et le dévisageant, posa son pied sur le sien. -« Nom d’un pilier ! Mais qu’est-ce que c’est ? Un bout de gamine toute seule en pleine nuit dans les montagnes ? Ne me dis pas que tu as été attaquée par un loup ? Ou bien est-ce toi qui hurles ainsi ? »
-« Rien ne saurait surprendre un gardien de citadelle ! Mais fais-nous donc entrer, j’ai grand besoin de tes apothicaires. » Le gardien s’aventura hors de la porte, souleva son capuchon et tendit sa lumière vers moi. Je découvris son regard éberlué, et le visage d’un jeune homme, sans doute un Lupus, aux traits tirés et aux joues empourprées. Il semblait effrayé, et pour se donner une contenance fanfaronne s’écria :
-« Par l’Ordre, que les Anciens me sortent du sommeil maintenant ! J’aurais pas du tant boire la veille ! » -« Monsieur ! Monsieur ! Dépêchez-vous d’ouvrir la porte, Dame Epoha vient commander ses armées ! »
-« Oh ! Par ma bannière ! Dame Epoha ! Entrez, entrez, et par pitié, pardonnez-moi ! Je vais faire réveiller l’état major, enfin, ce qu’il en reste ! Suivez-moi ! » Nous suivîmes le jeune gardien qui remontait le corridor en courant aussi vite que ses jambes le pouvaient, grimpant les escaliers quatre à quatre et hurlant à s’époumoner pour avertir ses compagnons de notre visite.
óóóó
Puis, vinrent les terres désolées et les cris, la longue plaine éventrée aux plaies profondes, béantes d’une infinie noirceur. Nous suivîmes l’affreux sillon, ruisselant de boues putrides. Les fers entrechoqués se mêlaient aux hurlements dans le rougeoiement intense des brasiers disséminés alentour, à perte de vue.
Les cadavres épars, aussi innombrables que les feuilles rousses d’hiver, maculaient le chemin.
J’approchais des lignes arrières où les jeunes Chevaliers achevant leur besogne couraient, armes à la main, rejoindre le cœur des bataillons. Nombre d’entre eux avait abandonné les capes, et pour certains les bottes, ruisselants, grelottants et maculés de boue sanguinolente. Absorbés par les combats, ils marchaient avec détermination, inlassablement, malgré leur dénuement. L’armée de l’Ordre progressait, luttant au corps à corps, dans la boue des terres du comté, les visages noirs de suie, les soldats avançaient aveuglément sans remarquer ma présence.
C’était une telle pitié de les voir, errant ainsi, que mon cœur se serra. Le cheval entendit en mon âme le vœu de réconforter les soldats, il se cabra et hennit bruyamment. Les troupes firent volte face, comme émergeant d’un cauchemar sans fin ; les yeux hagards et rougis par de longues et froides nuits sans trêve.
-« A moi, Chevaliers du Meath ! Que l’Ordre vous garde et que les Très Anciens nous protègent ! An O’harda ! »
Mon cri de ralliement fit l’effet d’une lumière déchirant les limbes, et une clameur se fit entendre jusqu’à l’horizon, au loin, s’étendant des lignes arrières jusqu’au front nord dont l’écho me parvint confusément : « O’ha ! ».
Les rangs de nos armées devenaient de plus en plus denses à mesure que j’approchais, les troupes redoublèrent de vigueur et les fantassins s’écartèrent sur le passage de mon cheval qui me menait jusqu’à la limite des lignes de tête. Je découvris avec inquiétude ce contre quoi les armés du Meath, de l’Est et du Nord réunies luttaient si ardemment.
Face à nous, s’élevaient des miradors entourés de hautes haies de fils barbelés devant lesquels s’ouvraient de profondes tranchées boueuses. Derrière les limites, nous apercevions au loin les anciennes villes industrielles, les méandres noirs et dévastés des autoroutes, les tours et les barres d’immeubles baignées dans un brouillard gris de suie.
Les rangs des miliciens formaient un amalgame compact et indistinct. J’avais jusqu’alors combattu des factions moins nombreuses, et je lisais sur le visage de mes compagnons une appréhension peu commune, malgré la joie que mon renfort leur apportait. Breg et Hychtwn à la tête des armées du Norois, Duir et Lungen menant les armées de l’Est, Maeldew qui avait conduit mes troupes du Meath et quelque uns des Sages renommés de ces contrées réunis sur cette bande de terre bannie, guettaient l’instant propice d’une offensive.
-« Nous avons ratissé l’ensemble du comté, et les chiens qui ont échappé à nos épées se sont retranchés derrière ces lignes. Il semblerait que nous ayons débusqué de nid de guêpes. »
-« Je n’ai jamais vu tant de miliciens en un seul lieu, sans doute le cœur de leur armée est-il basé ici. Dans ce cas, notre lutte sera décisive ; et si nous parvenons à les écraser, les provinces seront bientôt libérées. »
-« Nos trois armées réunies ont quelque chance d’y parvenir Epoha, nous attendions ta venue pour réunir un Conseil. »
-« L’ennemi s’est réfugié dans le nord, pourtant les miliciens peinent à vivre dans le froid. Nous pouvons supposer que les Bleus-Marine les utilisent, mais qu’ils ne comptent pas les protéger. Ce sont des armes humaines, rien de plus, et ils ne représentent que la part immergée de la menace. »
-« Les Bleus-Marine nous pourchassent depuis la défaite des romains au pied du mur d’Hadrien ! Ils utilisent des mercenaires contre quelque promesse d’ivrogne. Ils sont puissants et ont tenté d’envoyer le PennBarzh à Anaon, ils ont bien failli parvenir à leurs fins. Mais, ils méconnaissent la puissance de l’Ordre. »
-« Les Bleus-Marine et leur dogme ignoble ! »
Soulevant son capuchon, découvrant son visage émacié, apparut le vieux Lord B au regard perçant, un sourire amer sur les lèvres.
-« Leur foutu dogme ! Ils détiennent un pouvoir terrestre et répandant leur fiel en semant la terreur. Mais, ils ont perdu l’essentiel depuis le jour où ils ont sacrifié l’homme médecine en brandissant leur croix. »
-« Lord B ! Votre présence est du meilleur augure ! Les Bleus-Marine ont répandu leur fiel, et ils ont tranché le seul lien sacré qui unissait les hommes à la terre. Amputés de ce don, les humains sont désarmés, aveugles et insanes, ils cherchent, nombreux à retrouver cette part d’eux même qui leur a été dérobée. Voilà bien le réel motif de cette guerre. »
- « Nous connaissons tous la cause de ces affrontements et il semblerait que nous soyons parvenus au point de rupture ici même. Chacun des membres du Conseil doit entrer en contact avec un Ancien en mission dans les provinces. »
- « Les troupes de l’Ouest occupent les territoires du Sud, et il n’est plus une acre de littoral qui ne soit gardée par les nôtres, aucun renfort ne pourra désormais venir prêter main forte à l’ennemi. »
-« Nous disposons de bien peu de remèdes et de temps, les drogues dont nous avons besoin, pour contacter les autres piliers, sont aussi puissantes que rares. Les messagers devront se reposer avant d’être en mesure de combattre car il n’est pas envisageable d’essuyer la moindre perte. »
-« Nos ennemis campent sur leurs positions, ils ne se risqueront pas à passer à l’offensive de nuit si notre ligne de front reste statique. Cela peut nous donner le temps suffisant. La nuit devrait être assez longue pour que nous recouvrions nos forces et nous pourrions attaquer à l’aube. »
-« Le plan est risqué Epoha, mais nous n’avons guère le choix. Tes provisions de poisons nous permettront-elles de fabriquer des vaisseaux de communication ? »
-« Assez pour nous sept, mais ma transmission sera un peu plus longue, je dois envoyer un Chevalier de Rohan rechercher ma besace et mes effets laissés dans une grotte. Bien que je les aie cachés, ils pourraient tomber entre de vilaines mains… »
-« As-tu usé d’un avatar récemment Epoha ? »
-« Oui Lord B, j’y suis parvenu, la Louve
-« Bien, je vois que vous autres des Hautes Terres ne démentez pas votre réputation de Pictes teigneux et obstinés ! Vous êtes peu nombreux à jouir de ce don, mais, prends garde Epoha, les philtres peuvent te nuire plus que tu ne le penses. L’Ordre ne peut se passer de tes forces, et seuls les Très Anciens peuvent t’appeler à les rejoindre, le destin ne fera pas cas de tes mérites si tu déroges à ce principe. »
-« Je connais les commandements Lord B, et je ne présume pas de mes forces, ni du rôle qui est le nôtre et je reste en éveil. Et puis, vous savez à quel point je souhaite que l’on m’accorde une digne sépulture ! Pardonnez-moi l’heure n’est pas à la plaisanterie ! Préparons les filtres. »
óóóó
La rivière au lit profond protégeait notre camp au sud, et face à nous se dressaient les collines bleues.
Les buissons épineux et les chardons géants couraient librement sur les versants rocailleux, laissant ci et là l’ardoise nue briller. Il n’était pas rare, que des ombres étranges, semblant danser, sautent d’une colline à l’autre en émettant de stridents sifflements. Lorsque le brouillard rôdait alentour, aucun homme ne s’aventurait sur ces terres, et les chevaux se cabraient refusant d’y pénétrer.
Bien des siècles auparavant, une communauté d’herboristes de l’Ordre vivait en cette province. Lorsque le village le plus proche fut colonisé par les porteurs de la sainte parole, les paysans s’accoutumèrent à vivre selon le nouveau dogme, oubliant peu à peu les anciennes croyances, et le lien qui les unissait à la nature s’évanouît. Les apothicaires qui vendaient leurs remèdes ne trouvèrent plus chaland pour leur négoce et quittèrent le village pour s’installer dans les collines. Les paysans protégèrent leurs troupeaux en chassant les loups qui tentaient d’approcher. Les meutes se réfugièrent dans les collines, et les villageois prièrent pour que ces animaux diaboliques dévorent les sorcières, mais leur dieu sembla ignorer les prières des hommes, car les collines fleurissaient à chaque printemps, illuminant leurs flancs de pousses azurées. Les loups et les herboristes vivaient en harmonie sur ces terres.
Par un hiver, plus rigoureux qu’à l’ordinaire, une fièvre mystérieuse emporta les moins robustes des villageois. Au printemps suivant, le bétail périt en grand nombre, jonchant les champs de carcasses. Puis, l’été venu, la Dàhn
Mais leur mort ne délivra pas les paysans de la crainte, et les villageois racontèrent de génération en génération l’histoire du prêcheur sauveur, étoffant la légende de détails d’un conteur à l’autre. Et, depuis cette époque lointaine, et à jamais, quoi qu’il advienne en cette contrée, les paysans attribuent les facéties de la nature à l’éternelle vengeance des sorcières des collines bleues.
La nuit se répandit comme une mare d'encre sur la terre, des flammèches bleutées couraient à flanc de coteau laissant traîner les sifflements perçants sur leur passage, berçant notre sommeil léger.
Xxx Puis, vînt le soir brumeux et mauve, sans que le vent ou la pluie ne cesse, qui déposait le poids du givre sur nos hardes déjà bien lourdes. Au loin se dressait une de ces tours d'Amfol que l'on peut croiser par endroit aux confins du monde, lorsque la mer est si proche que l'on sent déjà le sel gercer nos lèvres et craqueler la peau du visage. Mi phare, mi moulin, les pieds solidement ancrés dans les profondeurs, une niche circulaire juchées sur des poutrelles de bois croisées. Nous attachâmes les montures aux poutrelles, et j'invitai le reste de l'équipée à me suivre en plaçant les semelles de nos bottes sans les encoches taillées à même les piliers, jusqu'à ce que nous atteignîmes la salle de vigie. Nous quittâmes nos guenilles qu'il nous fallut suspendre aux planches entrecroisées. Une triste guirlande de tissus raides de crasse et gorgés d'eau pendait tout autour des parois de bois. Le vent était si violent qu'il pénétrait dans chaque faille, chaque fente, jusqu'àu moindre interstice, et le bois craquait et vibrait terriblement, les tremblements des pieds du phare résonnaient jusqu'au sommet de la construction qui tanguait dangereusement. Les novices allongés au sol glissaient les uns sur les autres, comme des marins ivres en proie à une mer déchaînée.
Bien des égarés n'avaient su résister à de tels tourments, et, nombreux étaient les malheureux qui s'étaient précipités du haut d'une tour d'Amfol pour échapper à la panique que pouvait engendrer un tel traitement. La niche de vigie tournoyant comme une toupie, vertigineusement perchée sur des pieds vacillants, et tanguant de gauche à droite, le bois émettant des grincements aigus à fendre le crâne, entrecoupés par les mugissements démoniaques du vent. Il fallait être né de cette terre pour s'abandonner ainsi au gré des éléments. Les chevaliers dormaient sans crainte, nichés dans le ventre d'une mère meurtrière et effrayante pour qui n'était pas né de cette terre.
óóóó
-« Tu as trouvé l'entrée de ma cache, c'est donc que tu vois les esprits ! »
-« Je te remercie de ton invitation Dagda Llyabda, il est rare de rencontrer un Premier et j'en suis honorée. »
-« Nous autres préférons ne pas nous montrer, tu sais bien ce qui nous guète, les nouveaux humains nous mettraient en cage pour leurs foires ! Mais, je ne vais pas radoter ! Tu as peu de temps et j'ai l'éternité ! Bois une chope de ce liquide et parlons, assieds-toi, je t'en prie, tu es la bienvenue. »
-« J'aurais tant de questions à te poser, tu es l'ancêtre de mon clan et nous ignorons tout de toi, même le secret de ta naissance ! Seules quelques légendes continuent d'animer les veillées, comme l'union de Dagda et de Babayaga! Mais je pense que cette légende n'est pas loin de la vérité ! »
- « Pas bien loin en effet ! Mais il me semble que tu n'es pas venue chercher l'histoire des origines de ta race, toi et les tiens êtes en guerre, et je me suis laissé dire que mes gènes de guerrier sont parvenus jusqu'à vous ! Tu es inquiète car tu crains de n'être plus qu'une meurtrière et le sang sur tes mains te pèse... »
-« Tu devines juste, la guerre dure trop longtemps et nos troupes s'amenuisent, bien que nous remportions de belles victoires. Mais, je ne parviens pas à ressentir l'approche des temps de paix dans notre île, et j'aimerai que ta vue me guide et m'aide à mener mes troupes là où je dois aller. »
-« J'ai ce don et ce pouvoir, mais tu seras en dette envers moi... »
-« Oui, je serai en dette envers mon ancêtre, et je ne l'oublierai pas, tu sais combien notre peuple est fidèle aux siens, dressèrent-ils n'être plus de ce monde depuis des millénaires ! »
-« Dûssions-nous ! Tu es de mon sang, et je choisis bien mes mots! Si tu acceptes ma vue, tu ne pourras jamais reposer en paix auprès du PennBarzh WailLac'h, tu resteras à hanter cette terre comme ceux de mon espèce, nous sommes maudits, tu le sais, mais c'est en quelque sorte le destin des natifs des Hautes-Terres. Acceptes-tu ? »
-« C'est une bien difficile décision Dadga Llyabda, tu sais combien le barde et moi sommes liés... Il est de ton sang lui aussi, mais tu le sais bien, tu connais tous les enfants des anciens clans... Mais je suis un chevalier, et mon engagement doit avant tout me conduire à agir pour la survie de notre peuple, comme tu as du le faire toi aussi, je suppose... » xx Je tournais le dos au soleil qui illuminait ma route, la silhouette de mon cheval dodelinant glissait sur le sol, et je remarquai avec surprise l'absence de mon ombre. Mais, tout de suite après que je me sois étonnée de cette absence, une tâche sombre se mit à flotter au sol, figurant une aile. La forme se muait de façon fantaisiste, puis peu à peu, prit une apparence à peu près semblable à la mienne, flottant au ras du sol de façon quelque peu malhabile. La route sinueuse épousait la pente de la montagne, se perdait en lacets infinis, puis, aboutit sur la crête d'une falaise. Le chemin devint si étroit qu'il me fut impossible de continuer, je menais le cheval à la bride, la forme sombre s'installa sur la selle, puis, de temps à autre semblait s'envoler et tournait lentement autour de moi.
-« Il est vrai, j'ai du sacrifier mes rêveries à la survie du peuple des Hautes-Terres, et ton engagement t'y conduit de la même façon, tu deviendras, comme nous le sommes, un être sans repos, errant de siècle en siècle, pourchassé par les humains... Mais, toutes les sorcières connaissent ce destin n'est-il pas ? »
-« N’es-tu pas las de cette errance ? »
-« Cela est parfois pesant, mais je reste un peu facétieux ! Et je trouve très amusant d'effrayer les gens, quand par la plus grande des chances, il s'en perd sur la lande déserte ! »
- « Parviens-tu à communiquer avec les Très Anciens ? »
- « Je connais le sens de ta question ! Oui, rassure-toi ! L'éternité ne rompt pas le lien avec ceux d'Anaon, et tu pourras toujours communiquer avec ton barde ! Nos esprits sont liés, nous sommes des mêmes clans quelle que soit l'époque... Nous sommes seulement plus seuls et nous devons survivre et tuer sans fin pour subsister, nous n'avons plus le choix, le pacte est ainsi fait ! »
-« J'accepte le pacte Dagda Llyabda, mes troupes au moins trouveront le repos et, si je parviens à les mener sur la voie juste, jusqu'à la victoire, je veux bien me damner ! »
-« Tu ne crois pas si bien dire ma fille ! Mais ton vœu sera exaucé, sans faillir. »
Le mage s'était levé, et me prit dans ses bras en prononçant cette dernière phrase. Je sentis ses dents s'enfoncer dans la chair de mon cou, le sang chaud s'écoulait sur ma peau que sa langue caressait avec une suavité envoûtante. Le froid commençait à m'envahir malgré l'étreinte, je commençais à me sentir faible, mes jambes tremblaient sous le poids de mon corps. Il rejeta sa cape sur ses épaules et ouvrit sa chemise, me présenta son torse étonnamment musclé, entailla son sein d'un coup de griffe précis et posa ma bouche sur sa plaie. Le sang giclait si fort que je craignais qu'il ne s’arrête plus. Il me portait dans ses bras et s'étendit près du feu, gardant ma tête sur son torse. Je n'avais plus froid, je sentais que je n'aurais jamais plus froid à aucun moment de ma vie, quelle qu'en soit la durée. Lorsque le mage referma sa chemise, son visage était transformé, les rides et les boursouflures avaient disparues, sa peau semblait moins pâle.
-« Ma chère enfant, tu es absolument délicieuse ! Ton énergie est un fleuve impétueux, pétillant et revigorant! A présent, tu n'es plus uniquement mon héritage, tu es ma semblable, et je t'ai fait don de ma force, de mes dons et de ... ma malédiction, mais tu verras, tu t'en accommoderas ! »
Je fermais les yeux un instant, le sang laissait un goût de métal dans ma bouche, et une sensation de brûlure dansait sur ma peau, plus dense à l'endroit de la morsure. J'entendais le vent souffler en rafales, le sol tremblait si fort que mon corps roula à terre au point qu'un léger vertige s'empara de moi. Je sentais de l'eau ruisseler sur mon visage, j'essuyais mes paupières, et j'ouvris les yeux. Je gisais au sol de la tour d'Amfol, blottie contre l'un de mes compagnons. Je portais la main à mon cou, sous mes doigts, je sentais la blessure de Dagda Llyabda, encore suintante et chaude.
óóóó
L’issue du souterrain débouchait au sommet d’une montagne couverte de glace, dans un paysage figé où rien ne semblait vivre. Hormis le sifflement du vent, aucun bruit ne venait troubler la quiétude de ce lieu .
Dans le lointain, l’horizon s’étendait à la chaîne des monts couronnés d’argent bleuté, j’étais enfin parvenue au désert de givre. Plantée sur une petite plateforme, je tournais sur moi-même, fascinée par le calme et le silence, laissant la froideur de l’air m’apporter des forces nouvelles d’une étonnante puissance. Le miroitement aveuglant du soleil sur la vaste étendue de glace me faisait cligner des yeux. Les images du paysage alternaient avec l’obscurité, lorsque je découvris, entre les gouttelettes de buée qui s’échappaient de mon souffle, les contours de la forteresse invisible.
Elle se trouvait là, face à moi, immense, touchant presque le ciel de ses tours infinies. Le socle, arrimé au rocher, aussi large que la montagne elle-même, supportait le bâtiment aux créneaux dentelés qui s’élevait sur neuf étages et se terminait par les trois tours de guet aux sommets desquelles trônaient des lunes d’argent.
J’escaladais la pente qui me menait vers la forteresse, nouant des pans de tissus, arrachés à ma chemise, autour de mes semelles. Mon image se reflétait sur la porte de glace, et je traçais du bout du doigt, le dessin de mon insigne. Je m’approchais d’avantage, plaquant mon corps sur la surface lisse. En quelques instants, la glace avait fondu sous la chaleur que je dégageais, et je pénétrais dans la grande salle. Je perçus un grésillement derrière moi, la glace fondue s’était reconstituée instantanément. Face à moi, un escalier transparent menait aux étages, je craignais la fonte des marches au contact de ma chaleur, et je n’osais m’aventurer à les gravir. Je posais la main sur le pommeau de la rampe, la matière était froide, brillante, mais solide, ne suintait pas, ne fondait pas, et me renvoyait mon propre reflet. Je posais le pied sur la première marche, et traçais de nouveau un signe du bout de la griffe de ma bague, rayant la surface du sol, j’examinai les débris d’une poussière blanche qui se formait sur les bord du mince sillon ; et je compris que l’intérieur de la forteresse avait été construit en verre. Rassurée, j’entrepris de me diriger vers les étages, jusqu’au sommet de la tour de l’ouest.
L’ascension des interminables escaliers était vertigineuse, je voyais, à mesure que je m’élevais, les étages inférieurs empilés les uns sur les autres.
Dans la tour déserte, je découvris, reposant sur un socle brut, la statue du premier roi de notre empire, le premier chef des clans Bran O’Buir l’invincible gisait, les bras pendants, le corps empreint d’une grâce brute.
óóóó
Je n’ouvris les yeux que lorsque j’eus senti son souffle, calme comme une vague finissante, gonfler son torse large, répandant une aura de buée sur mon visage. L’éclat bleuté de son regard luisait à travers ses paupières scellées, il me fixait, sans étonnement aucun, et, j’entendais ses paroles muettes qui résonnaient en mon âme. Il me faisait l’honneur des révélations d’un grand chef de guerre, et me dispensait ses précieux conseils. Plus de deux mille ans séparaient nos combats, sans que rien n’ait changé ; notre île était encore convoitée par un terrible ennemi, et toujours en proie à la trahison de nombre de ses propres sujets qui pactisaient avec les saigneurs. Le vieux roi se rendormit lentement, conservant sur ses lèvres un sourire discret.
óóóó
immobile, recroquevillée, dont la tête semblait mordre la terre. Un milicien ne pouvait s’était aventuré jusqu’aux terres désertées. Il portait la coiffe des mozlans et la tunique sable, collée aux chairs putrides. Il avait du déserter et marcher jusqu’ à épuisement. Il était rare de voir les mozlans. Je me souviens en avoir surpris, juste avant le coup d’état, lorsque nous rentrions par le parc, une nuit. D’une maigreur effrayante, ils avançaient lentement, à genoux dans les allées, à demi muselés, tenus en laisse par un milicien. Ils rongeaient les fleurs des massifs, avec une voracité animale, la bouche ensanglantée, déchirée par les épines, semblant ignorer la douleur. Ne subsistaient après leur passage que des bosquets de tiges.
Ce furent, dans mes souvenirs, les premières actions des milices afin de transformer insidieusement la ville, en lui ôtant toute beauté. Les miliciens affamaient les mozlans, prisonniers ignorés et sacrifiés. Ils les utilisèrent par la suite comme chiens de guerre, qui pouvaient dévorer un être humain avec plus d’avidité qu’un fauve.
Les paysans, dans les campagnes crurent au retour des loups, puis aux actes de serial killers, et enfin, après le coup d’état, bernés à bon compte par les campagnes de propagande ; aux sacrifices humains des membres de la secte sataniste Mary Saint, et ils collaborèrent avec la milice en livrant les jeunes gens suspects, fussent-ils leurs propres enfants.
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.I see a man who wears a white dress
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